Au cœur du débat sur l’euthanasie se multiplient les « cas dramatiques » mis en exergue pour susciter l’émotion, la pitié et finalement l’assentiment de l’opinion publique. Le procédé est bien connu des manipulateurs de foules. Rien de bien nouveau depuis César et la Guerre des Gaules en matière de propagande.
Pourtant malgré les nombreuses précautions, le voile se déchire par pans et révèle sous les beaux sentiments, la réalité des prétendues « impérieuses nécessités économiques » dictées par le sacro-saint équilibre budgétaire et étalonnées par les Agences de notation internationales, nouveaux dispensateurs de la Raison suprême, siégeant dans les hauteurs du Forum de Davos.
L’ordre libéral succède à l’ordre noir mais a-t-il vraiment changé de visage, Baal auquel on offre des sacrifices d’enfants est-il si différent de Mammôn ou du Veau d’Or qui impose ses règles de rentabilité ?
Voir mon blog :
L’homme du 21ème s. peut-il échapper à toutes les programmations générées par l’âge industriel ? Peut-il échapper à lui-même ? C’est ce que l’artiste Raul Hausman (1886-1971) dénonce dès 1921 à travers cette tête de bois de 32cm exposée au Musée National d’Art Moderne de Paris et intitulée « L'Esprit de notre temps » : l’homme moderne enserré et manipulé par l’idéologie moderniste.
Faut-il réécrire l’histoire et gommer l’euthanasie pratiquée par les Nazis pour ne pas troubler la bonne conscience de ceux de nos contemporains qui veulent soulager les souffrances en légalisant « une mort douce ou miséricordieuse » ? C’est ce que semblent affirmer certains comme Bernard Kouchner le 26 juin 2014 quand il déclare sur France-Inter : «N'employons plus jamais le mot euthanasie. D'abord il y a nazi dedans, ce qui n'est pas gentil. Et puis on a tout de suite l'impression qu'il y a une agression, vous voyez, qu'on va forcer les gens, comme le mot ingérence.» Et de plaider pour l’expression « mort douce » : «employer des mots qui sont doux. La fin de vie doit être quelque chose qu'on partage avec les siens et qui doit être un témoignage d'amour plus que de brutalité.»
Voir mon blog :
1 - 2014 : La fin de la langue de bois sur l’euthanasie ?
1-1 24 juillet 2014, république de Lituanie :
Mme Rimantė Šalaševičiūtė, nouvelle ministre de la Santé de Lituanie, membre du Parti communiste lituanien à l’époque soviétique ; en 1990 elle a rejoint le Parti démocratique du travail. Après avoir été longtemps chargée des droits des enfants, elle a pris ses fonctions début juillet; elle déclare :
« On pourrait bien avoir besoin de l’euthanasie pour les pauvres qui ne peuvent se permettre d’avoir accès aux soins palliatifs. Elle a expliqué dans la presse locale que : la Lituanie n’est pas un Etat-Providence où les soins palliatifs seraient accessibles à tous, suggérant que l’euthanasie pourrait être une option pour ceux qui ne désirent pas tourmenter leurs proches en leur imposant le spectacle de leurs souffrances. Elle a également suggéré que la Lituanie puisse légaliser l’euthanasie pour les enfants, en notant que cette possibilité avait été offerte aux enfants belges au terme d’un long débat public. Pourquoi ne pas ouvrir ce débat en Lituanie ? »
Le pays a une démographie en berne (indice de fécondité très bas et un des taux de suicides par habitant le plus élevé du monde.)
L’Eglise catholique, mais aussi de nombreux médecins, s’opposent clairement à l’euthanasie. Le Dr Andrius Narbekovas, qui est à la fois prêtre et médecin, et membre de la commission de bioéthique du ministère lituanien de la Santé, a réagi dans les médias :
« Le ministère de la Santé doit protéger la santé et la vie, au lieu de chercher des moyens d’ôter la vie. Il va sans dire que cela serait… profitable et rentable… Mais une société démocratique doit clairement comprendre que nous devons prendre soin des malades, et non les tuer. » (Note 1 en fin d’article.)
D’après : http://www.bioedge.org/index.php/bioethics/bioethics_article/11071
http://www.delfi.lt/news/daily/health/naujoji-ministre-kelia-nepatogia-ideja.d?id=65382836
1-2 Les compagnies d’assurances-maladies néerlandaises jouent la carte de l’euthanasie
« L’industrie hospitalière de la fin de vie », nouvelle sorte d’« industrie de la mort » se porte bien en Europe de l’Ouest que ce soit en Suisse, Belgique ou Pays Bas.
Aux Pays-Bas la Clinique de fin de vie a été ouverte en 2012, la Levenseindekliniek de La Haye a le statut d’association à but non lucratif habilitée à recevoir des dons de particuliers et de fonds d’investissements, deux postes de crédits budgétaires en hausse en 2013. Après un début besogneux, elle a affiché en 2013 un bénéfice de près de 300 000€, alors qu’elle tablait au début de l’année sur une perte de 125 000€. Elle a bénéficié de ses pourparlers avec les compagnies d’assurances-maladies se partageant le marché néerlandais. Par une campagne de propagande publicitaire, elle a réussi à les persuader de l’intérêt financier à rembourser les actes d’euthanasie (consultations et délivrances de médicaments). Mais un obstacle existait, c’est qu’au même titre que le suicide, l’acte aurait pu empêcher le versement de primes d’assurances-vie. Cet obstacle levé, les assureurs ont les uns après les autres accepté de rembourser les actes d’euthanasie encouragés par le fait qu’un grand malade mort coûte bien moins cher en remboursements. Alors que la Levenseindekliniek tablait sur 115 000 € de remboursements des assureurs, ils ont atteint 600 000 € en 2013. Son activité ne cesse de progresser, elle a reçu en 2013 749 demandes d’euthanasie dont 134 ont été « honorées », pour la plupart des personnes dont la demande avait été rejetée par le médecin traitant : personnes en voie de devenir démentes, souffrant de multiples maladies, de handicaps non mortels ou de maladies psychiatriques. 25 % des personnes « traitées » ont choisi le suicide assisté – en ingurgitant volontairement une potion mortelle– plutôt que l’euthanasie par piqûre administrée par le médecin.
2- Flash-back : 1940, Hitler met en route le programme T.4
2- 1- Flash-back : En 1922 l’assemblée des neurologues de Saxe se réunit autour de la question : « Le médecin a-t-il le droit de tuer ?».
C’est alors la République de Weimar, un des régimes les plus libéraux de l’histoire, dans un environnement scientifique où l’eugénisme a droit de cité; on y débat sur les vies qui ne sont pas «dignes d’être vécues», notamment les handicapés mentaux dont certains médecins veulent par compassion abréger les souffrances. Beaucoup de ces médecins marqués par l’humanisme scientiste participeront à l’opération T4. Les militants politiques engagés dans les années 1920 en faveur de l’aide à mourir, s’élevaient aussi contre la peine de mort et pour le droit à l’avortement. Un certain nombre d’entre eux furent des adversaires acharnés du nazisme, mais, à l’instar de l’Association des médecins socialistes allemands, soutinrent «l’opération mort miséricordieuse» (Aktion Gnadentod) décrétée par Hitler. L’historien Götz Aly a établi la biographie de Paul Nitsche, un des principaux responsables médicaux de l’euthanasie forcée. Avant de se mettre au service des SS, il fut un psychiatre réformateur, soucieux du bien-être des patients et partisan d’une politique du soin bannissant l’usage de la camisole de force et des châtiments corporels.
D’après : http://www.liberation.fr/chroniques/2014/10/17/les-ambivalences-du-progressisme_1124083
2- 2- Flash-back : Hitler prépare le terrain à l’euthanasie :
Dès 1929, à Nuremberg où se réunissait le Parti nazi chaque année, Hitler évoque clairement l’impérieuse nécessité de mesures radicales pour préserver la « force ethnique » (Volkskraft) du peuple allemand :
« Si l'Allemagne devait avoir un million d'enfants par an et se défaire des sept cents ou huit cents mille les plus faibles d'entre eux, il en résulterait peut-être au final un accroissement général de notre force. » Il avait déjà évoqué cette nécessité dans son livre « Mein Kampf » paru en 1925-26.
Parvenu au pouvoir en janvier 1933, la mise en application de ces idées se traduit le 14 juillet 1933 par la loi eugénique sur la stérilisation forcée.
Une campagne de propagande de grande ampleur sur le coût des soins aux malades mentaux s’appuya sur des films, des livres, brochures et affiches : un patient en asile coûterait quotidiennement 5,5 Reichsmark, cette somme représenterait l’équivalent des besoins d'une famille avec trois enfants en bonne santé. L'Office politique et racial national-socialiste (NS-Rasse und Politisches Amt) produit de 1935 à 1937 cinq films muets comportant « des scènes propres à horrifier le public allemand et à le convaincre de la nécessité d'éliminer la lie de la société pour le bien de la population tout entière ». Réalisé en 1936, Le film Erbkrank (maladie héréditaire) est si apprécié par Hitler qu'il demanda une suite avec une bande son, Opfer der Vergangenheit (Victime du passé), distribuée en 1937 dans tous les cinémas allemands. Autres productions : Mission et Conscience, J'accuse ou Une existence sans vie qui s’achève par ces mots : « N'est-ce pas l'exigence de la charité : délivre ceux que tu ne peux guérir ! »
L'enseignement est aussi de la partie : la nécessité économique de l’élimination des plus faibles trop coûteux au pays doit être inculquée à toutes les jeunes générations peu à peu formatées par le moule de l’éducation nazie :
Le manuel de mathématiques, édition 1936, pour les élèves des écoles primaires supérieures propose ce problème aux jeunes élèves allemands : « La construction d'un asile d'aliénés coûte six millions de marks. Combien de nouvelles habitations à 15 000 marks pourrait-on construire avec cette somme ? » La conclusion étant vite sous-entendue par les petites têtes blondes.
(Willi Dressen, « L'élimination des malades mentaux », dans François Bédarida (dir.), La politique nazie d'extermination, Paris, Albin Michel, 1989, 333 p.-ISBN 2-226-03875-2 )
2- 3 - Flash-back : 1940, Hitler met en route le programme T.4 (abréviation renvoyant à l’adresse du Tiergartenstrasse 4 à Berlin, siège de cette organisation)
Hitler rédige en octobre 1939 l'« autorisation » d’euthanasie - antidatée du 1er septembre 1939 -, en ces termes :
« Le Reichsleiter Bouhler et le docteur en médecine Brandt sont chargés, sous leur responsabilité, d'étendre les attributions de certains médecins à désigner nominativement. Ceux-ci pourront accorder une mort dite miséricordieuse aux malades qui auront été jugés incurables selon une appréciation aussi rigoureuse que possible. Signé : Adolf Hitler, le 1er septembre 1939 »
Cet acte d’Hitler ne repose sur aucune base juridique mais s’appuie sur la volonté des exécutants de mettre en œuvre le programme du Führer. Pour échapper aux freins juridiques et bureaucratiques Hitler refuse de promulguer une loi sur cette question et se contente d’une « autorisation écrite » en dehors du cadre gouvernemental. Le ministre de la Justice Franz Gürtner n’en reçoit la copie que le 27 août 1940, estimant de toutes les façons que la volonté du Führer a force de loi. Plusieurs projets de loi auxquels participe Reinhard Heydrich sont rédigés et finalement abandonnés en octobre 1940. Pour Hitler, une telle loi ne pourra pas être rendue publique tant que la victoire ne sera pas complète. Après la mort de Gürtner, les hauts responsables du Reich sont cependant informés sur les objectifs de l'Aktion T4 lors d'une rencontre à Berlin les 23 et 24 avril 1941. Alors qu’aucune base légale n’existe, ils prennent à leur compte l’opération et décident qu’aucune plainte ne pourra être étudiée localement mais directement par le Ministère de la Justice du Reich qui peut prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garder le secret nécessaire au bon déroulement de l'Aktion T4. Léon Poliakov, un des premiers historiens à avoir travailler sur la Shoah a souligné que « plusieurs psychiatres allemands de renom » ont apporté au Programme T4 « un soutien actif et enthousiaste.»
Des commissions de médecins «sélectionnent» des enfants et adultes «anormaux» en examinant les dossiers des patients et en choisissant « ceux qui ne peuvent plus travailler et qui ne présentent plus d’utilité pour la société », selon la terminologie officielle. Les victimes sont « rapidement transférées d’un établissement à l’autre, afin de rendre plus difficiles les recherches de proches inquiets». Les victimes ont été des personnes handicapées physiques ou mentales, mais aussi des malades incurables, des personnes âgées, des inaptes au travail ou des délinquants. Elles on été tuées dans des cellules comme celle de l'institut psychiatrique de Pilla-Sonnenstein (Est de l'Allemagne) où quelque 15.000 handicapés mentaux furent massacrés. Ce centre était l'un des six lieux où fut appliqué le programme T4. La cellule que l'on voit ici sur cette photo (prise le 11 mars 2000), a été transformée en mémorial en 1995.
Cellule de l'institut psychiatrique de Pilla-Sonnenstein (Est de l'Allemagne) © AFP - DDP - Norbert Millauer
Le programme T4 a aussi expérimenté six installations de gazage, dites officiellement sanatoriums. «On annonçait aux victimes qu'elles allaient faire l'objet d'une évaluation physique et qu'elles allaient prendre une douche désinfectante. Au lieu de cela, elles étaient tuées dans des chambres à gaz avec du monoxyde de carbone pur», rapporte le site de l’United States Holocaust Memorial Museum (USHMM). Les corps sont ensuite incinérés et des urnes expédiées aux familles avec un certificat de décès mentionnant une cause et une date fictives de mort. De janvier 1940 à août 1941, quelque 70.000 personnes furent assassinées dans le cadre du programme T4, selon les chiffres de l’administration hitlérienne (cités par Léon Poliakov). Les statisticiens du régime nazi purent calculer les économies ainsi réalisées dans les domaines du logement, des vêtements et de l’alimentation, évaluer le nombre des personnels ‘‘libérés’’ pour d’autres tâches, des places disponibles pour les malades curables, des asiles transformés en hôpitaux…
(Eugen Kogon, Hermann Langbein et Adalbert Ruckerl, Les Chambres à gaz, secret d'État, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1984, 300 p. (ISBN 978-270-730-691-3)
2- 4 - Flash-back : L’Église catholique, une des rares forces sociales allemandes qui ose s’opposer aux décisions d’Hitler en matière d’euthanasie
Dès l’été 1933 l’Église catholique allemande avait réagi face à la Loi sur la stérilisation forcée jugée contraire à l'encyclique Casti connubii de Pie XI datée du 31 décembre 1930, synthèse de la doctrine chrétienne du mariage, insistant sur « la soumission aux lois divines et à leurs exigences essentielles ».
Lors de la mise en route du Programme T.4 l’évêque de Münster, Mgr Clemens August von Galen, surnommé le « Lion de Münster » à cause de son indomptable opposition au nazisme (Pie XII le fit cardinal à l’issue de la guerre et Benoît XVI l’a béatifié en 2004), dans son sermon du 3 août 1941, le condamna sans ambiguïté. Reprenons son texte dans le détail :
« Il y a un soupçon général, confinant à la certitude, selon lequel ces nombreux décès inattendus de malades mentaux ne se produisent pas naturellement, mais sont intentionnellement provoqués, en accord avec la doctrine selon laquelle il est légitime de détruire une prétendue « vie sans valeur » - en d'autres termes de tuer des hommes et des femmes innocents, si on pense que leurs vies sont sans valeur future au peuple et à l'État. Une doctrine terrible qui cherche à justifier le meurtre des personnes innocentes, qui légitime le massacre violent des personnes handicapées qui ne sont plus capables de travailler, des estropiés, des incurables des personnes âgées et des infirmes ! [...] Si on l'admet, une fois, que les hommes ont le droit de tuer leurs prochains « improductifs » - quoique cela soit actuellement appliqué seulement à des patients pauvres et sans défenses, atteints de maladies - alors la voie est ouverte au meurtre de tous les hommes et femmes improductifs : le malade incurable, les handicapés qui ne peuvent pas travailler, les invalides de l’industrie et de la guerre. La voie est ouverte, en effet, pour le meurtre de nous tous, quand nous devenons vieux et infirmes et donc improductifs. Alors on aura besoin seulement qu’un ordre secret soit donné pour que le procédé, qui a été expérimenté et éprouvé avec les malades mentaux, soit étendu à d'autres personnes « improductives », qu’il soit également appliqué à ceux qui souffrent de tuberculose incurable, qui sont âgés et infirmes, aux personnes handicapées de l'industrie, aux soldats souffrant de graves blessures de guerre ! »
Son sermon eut un très large écho en Allemagne et même à l’étranger car Mgr von Galen le fit imprimer comme lettre pastorale et lire dans toutes les paroisses de son diocèse. Les Services secrets Britanniques qui avaient obtenu le texte le firent lire dans les émissions en langue allemande de la BBC, larguèrent des tracts le dupliquant sur l’Allemagne et firent circuler des traductions en France, Pays Bas et Pologne. Mgr von Galen fut rejoint par d’autres évêques catholiques : l’évêque de Limbourg écrivit une lettre ouverte au Ministre de la Justice du Reich pour condamner les assassinats commandités par l’Etat ; l’évêque de Mayence fit un sermon dans le même sens ; enfin Mgr von Preysing, l'évêque de Berlin, leur emboîta le pas en novembre 1941. Ce fut aussi le cas de quelques pasteurs protestants comme Theophil Wurm qui dès le 19 juillet 1940 écrivit un courrier de protestation au ministre de l’Intérieur, Wilhelm Frick.
Le mouvement de protestation contre la politique conduite par le 3ème Reich fut le plus important depuis 1933. De plus en plus d’infirmières et d’aides-soignants refusèrent les actions d’euthanasie, les parents, amis et voisins des victimes s’exprimèrent de plus en plus ouvertement.
L’allusion de Mgr von Galen à la menace pesant sur les grands blessés de la 1ère Guerre ébranla même des hauts dirigeants du régime nazi. Le commandant en chef de l’armée allemande, le Maréchal Keitel ne cacha pas en privé son hostilité à une telle mesure qui ébranlerait le moral des troupes allemandes engagées depuis juin 1941 dans une immense bataille contre le régime de Staline. Sur ce point, il est rejoint par Himmler, chef des Waffen-SS
2- 5 - Flash-back : 24 août 1941 : Hitler suspend le Programme T4
Face à ces oppositions multiples et diverses, le 24 août 1941 Hitler craignant d’être désigné comme le responsable des ces assassinats – le quota de 70 000 victimes qu’il avait fixé venait d’être un peu dépassé - donna l’ordre au Dr Karl Brandt de suspendre l'Aktion T4 et de faire un rapport sur l’opération pour le Reichsleiter Philipp Bouhler. Cependant il ordonna que le meurtre des enfants handicapés se poursuive dans la discrétion. Dès août 1942, les assassinats reprennent jusqu’à la fin de la guerre. Cette fois, ils sont menés de manière plus discrète et le mode opératoire change : les victimes sont tuées « par injection mortelle ou surdose de drogue administrée dans un certain nombre de cliniques à travers l’Allemagne et l’Autriche », donc de manière plus décentralisée. D’autre part ces institutions affament systématiquement leurs pensionnaires. Les morts sont dissimulées sous des causes soi-disant naturelles – infections, pénurie alimentaire et médicamenteuse, épidémies -.
Par rapport aux actions de l’époque 1939-41, l’éventail des victimes s’est élargi notamment aux patients en gériatrie. Au printemps 1944, les autorités nazies demandent des rapports sur « l’état de l’opinion concernant une question très spéciale : la rumeur d’un bout à l’autre de l’Allemagne à propos de la mise à mort prématurée des personnes âgées. » Il s’agit pour elles de « mesurer les frontières du faisable » c'est à dire voir si l’euthanasie des personnes âgées serait acceptée par les Allemands et permettrait de franchir une nouvelle étape en matière d’euthanasie.
Quoiqu’il en soit, ces différentes actions ont permis de tester la mise en œuvre de la «solution finale», les spécialistes du Programme T4 utilisèrent leur « expérience » dans les camps d’extermination. «La technique d’une extermination efficace et discrète (…) a été mise au point, au stade du laboratoire, par des médecins et des savants allemands, avant d’être appliquée en grand et au stade industriel par la SS de Himmler», affirme Léon Poliakov. Il ajoute : «Les malades mentaux d’Allemagne ont (ainsi) fait office de banc d’essai pour les Juifs d’Europe».
Voir mon blog :
2- 6 - Flash-back : 1946-47 : Le Tribunal de Nuremberg juge les organisateurs du programme T.4
Du 9 décembre 1946 au 20 août 1947 eut lieu à Nuremberg le Procès des 23 médecins. Il s’agissait de médecins des camps de concentration accusés d'avoir pratiqué diverses expérimentations sur les prisonniers ainsi que des médecins et des fonctionnaires impliqués dans le Programme T.4. A la suite du verdict de condamnation à mort les docteurs Viktor Brack et Karl Brandt furent pendus.
Les 350 médecins qui ont participé aux assassinats du Programme T.4 se justifièrent en disant qu’ils avaient dû appliquer les « autorisations d’euthanasie » décidées par d'autres médecins sans opposition des tribunaux. Seuls 40 participants aux euthanasies forcées furent condamnés en République Fédérale Allemande; les autres médecins furent acquittés ou non poursuivis, ainsi que les fonctionnaires du Ministère de la Justice et les 200 maires et employés municipaux qui avaient participé à l’application du Programme T.4. Beaucoup poursuivirent leurs carrières après guerre et aucune indemnisation n’a été accordée aux familles des victimes.
En 1946, l'Ordre des médecins demanda au professeur Mitscherlich de présider la Commission médicale chargée de suivre le Procès de médecins instruit par le tribunal militaire américain de Nuremberg. Alice Ricciardi von Platen, docteur en médecine, appartint à la commission médicale participant au Procès des 23 médecins accusés de crimes contre l'humanité par le tribunal militaire américain de Nuremberg. Fondatrice d'instituts de formation en psychothérapie de groupe, elle a travaillé après guerre à Rome et Cortone comme psychothérapeute. A la suite de sa participation, elle publia en 1948 en Allemagne un ouvrage reprenant les faits de ce Procès, intitulé « l’extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazie ». Le livre fut vite oublié et il fallut attendre sa réédition en 1993 pour qu’il connaisse une grande diffusion. Il éclaire les racines historiques de ces crimes et leur organisation concrète. Il montre comment les principes idéologiques du III° Reich s’enracinèrent dans le monde de la psychiatrie. En effet les théories eugénistes étaient en vogue dans tout le monde occidental ce qui explique l'implication d'un certain nombre de psychiatres universitaires, voire des « bons » psychiatres. Le livre de von Platen utilise les Archives des procès de médecins, notamment de Nuremberg et de Francfort et focalise sa recherche sur trois Instituts de soins psychiatriques de la province de Hesse-Nassau. Von Platen décrit l’ascension dans l'horreur qui va de la stérilisation des malades mentaux à l'euthanasie sauvage, en passant par la « mort par compassion », la suppression des « vies qui ne valent pas la peine d'être vécues », les « lettres de réconfort » aux familles (dans lesquelles on annonçait que leur pauvre parent n'avaient pas survécu à sa terrible maladie) et l'envoi des cendres du défunt aux proches (la crémation étant expliquée par le risque d'épidémie). On découvre avec consternation que des pères et des mères exigent l'extermination de leur enfant malade ou handicapé, confortant Hitler dans son projet mais aussi que des parents ont voulu résister ou comprendre pourquoi ces êtres fragiles avaient été arrachés à leurs familles. Ce fut le cas, à l’âge de 14 ans, d’un cousin trisomique de Joseph Ratzinger, Benoît XVI. Révélé par l'historien américain Brennan Purcell, ce douloureux épisode familial a été confirmé par le Père Georg Ratzinger, frère du pape Benoît XVI.
On constate aussi que des médecins, des psychiatres, des universitaires, des prêtres et des pasteurs ont osé s’opposer concrètement au programme T4 et ont contraint Hitler à le suspendre.
Après la fin du Procès des médecins la commission publia un Rapport accablant, mais l'Allemagne en ruines et affamée n'était pas disposée à en prendre connaissance et l'Ordre des Médecins ne désirait pas que la population fût informée de l'activité de si nombreux médecins aux postes de commandement des lieux d'extermination. Une des conclusions du Dr Alice Ricciardi von Platen résonne aujourd'hui avec une singulière actualité : «Il est certain qu'un seul meurtre en provoquera des centaines d'autres si l'on n'a pas renié jusqu'au tréfonds l'idéologie qui l'a produit. »
Un autre livre va dans le même sens : Les Anormaux, par Götz Aly, - Flammarion, 312 p. -. Götz Aly est journaliste et historien. Il a enquêté pendant 32 ans sur la question. Il fournit un chiffre : «Environ 200000 Allemands furent victimes entre 1939 et 1945 des meurtres par euthanasie». Il donne la parole aux survivants. Infirmières, religieuses, médecins, qui ont vu leurs malades enlevés à leurs soins mais aussi aux rescapés du génocide, des enfants qui se sont cachés à temps. Ne pas savoir écrire son nom ou compter pouvait vous conduire à la mort.
Le recours à la stérilisation systématique était courant sous le IIIème Reich au nom de l’amélioration de la race et création d'un homme nouveau. Dans ce but fut réalisée une collection de cerveaux d'enfants tués par euthanasie et l’on a continué à l’exploiter scientifiquement et tranquillement après guerre. Götz Aly révèle que l'euthanasie était solidement ancrée dans les esprits de la majorité des médecins allemands, même opposés au nazisme, et dans une grande partie de la population du pays, par hygiène et progrès médical pour les uns, par compassion et découragement pour les autres.
Pour Michaël Fœssel, professeur de philosophie à l’école Polytechnique « la facilité avec laquelle une certaine idéologie progressiste s’est accommodée de la radicalité nazie est un fait d’histoire : en temps de guerre, l’insistance pleine de sollicitude sur les «vies indignes d’être vécues» épouse tout naturellement la stigmatisation des «bouches inutiles». Surtout, le désir des psychiatres allemands a rencontré l’idéologie hitlérienne sur un point précis : l’idée que tout problème appelle sa solution. Ce que beaucoup de médecins ne pouvaient admettre était l’existence d’êtres incurables, défiant leur pouvoir thérapeutique. Le système de mise à mort des malades mentaux s’est constitué pour ne plus voir ni entendre des êtres qui contredisent les pouvoirs de la science médicale. Tenue en échec, la rage de guérir s’est transformée en volonté d’anéantir. »
(http://www.liberation.fr/chroniques/2014/10/17/les-ambivalences-du-progressisme_1124083 )
Pour Götz Aly le national-socialisme, qualifié de régime antimoderne - repoussoir utilisé par nos démocraties occidentales -, réalise en fait les tendances les plus fortes de la modernité : hygiénisme militant, promotion du «progrès» si nécessaire par la violence, rationalité instrumentale, efficacité bureaucratique. Le progressisme peut nier le progrès s’il fait abstraction de toute considération morale sur la dignité de tout homme. Le nazisme a profité des ambivalences de la modernité en faveur d’une «vie meilleure et plus saine».
Ces ouvrages apportent une lumière neuve sur les débats éthiques contemporains (stérilisation des malades mentaux, arrêt Perruche ...). Le sort qu’une nation réserve à ses vieillards, malades mentaux et handicapés, apparaît comme un reflet des principes qui guident sa conception de l'homme. La question majeure est de savoir si la médecine actuelle - choix possible du sexe, possibilité de diagnostic prénatal débouchant sur des avortements, expérimentation sur les embryons humains, dans l’avenir clonage éventuel…. ne prolonge pas l'idéologie des médecins S.S., déjà préoccupés de sociobiologie, d'économie de santé ?
3- Regards sur l’actualité : 2 septembre 2014 : Inauguration à Berlin d’un mémorial dédié aux personnes infirmes victimes du nazisme.
L’Allemagne d’Angela Merkel a su faire face à son passé en érigeant un monument à la mémoire des handicapés victimes de la folie nazie. C’est le premier monument national qui leur est dédié.
A quand un monument en France à la mémoire des handicapés victimes du régime de Vichy ?
Voir mon blog :
Le monument est érigé à l’emplacement d’une « clinique » berlinoise. C’est le quatrième monument érigé autour du grand parc de Tiergarten à la mémoire des populations victimes du IIIe Reich – Juifs en 2005, homosexuels en 2008, tziganes en 2012 et maintenant handicapés -. Le monument se compose d'un mur de verre aux reflets bleutés de 24 mètres de haut, posé sur un socle noir et flanqué de panneaux explicatifs.
Benjamin Traub, jeune Allemand au regard triste né en 1914, était un enfant intelligent et doué. Mais sa schizophrénie l'a condamné à mort, tout comme 300.000 personnes handicapées tuées par les nazis.
"Le meurtre de dizaines de milliers de patients et de résidents de foyers spécialisés a été le premier crime de masse systématique du régime national-socialiste" et "préfigure l'extermination des Juifs d'Europe", a expliqué Uwe Neumärker, directeur de la fondation du mémorial. Diagnostiqué schizophrène à 16 ans, Benjamin Traub avait été hospitalisé en psychiatrie en 1931, près de la frontière néerlandaise. Neuf ans plus tard, à l'apogée du IIIème Reich, il avait été envoyé à 300 kilomètres de là, dans un "établissement intermédiaire" de l'Etat de Hesse (ouest), puis transféré en 1941 à l'hôpital de Hadamar. Après être arrivé dans cette clinique transformée en centre de mise à mort comme 5 autres établissements en Allemagne, il avait été conduit dans une chambre à gaz et asphyxié avec du monoxyde de carbone venus des pots d’échappement de camions. La clinique prévint ses parents par lettre que leur fils "avait soudainement et inexplicablement succombé à une grippe suivie d'une méningite". Comme Benjamin Traub souffrait "d'une maladie mentale sérieuse et incurable", ses proches devaient accueillir sa mort comme "un soulagement", estimait le courrier.
Malgré les grands procès de d'après-guerre, le programme "T4" a entraîné peu de suites judiciaires et la plupart des professionnels de santé impliqués ont poursuivi leurs carrières. L'ex-RFA comme l'ex-RDA ont fait peu d'efforts pour indemniser et honorer les survivants. Pour le quotidien berlinois Tagesspiegel cette commémoration tardive tient à l’absence d'un "lobby puissant" oeuvrant pour les victimes dont - selon le journal - "beaucoup ont été oubliées pendant des décennies et le sont encore, même par leurs propres familles".
Note 1: « Euthanasia might be needed for poor people who cannot access palliative care... Without making any specific proposals, she told local media that Lithuania was not a welfare state with palliative care available for all and that euthanasia might be an option for people who did not want to torment relatives with the spectacle of their suffering.
The minister has also raised the idea of euthanasia for children. She noted that this option had been approved for Belgian children after a long public debate. It was an option which might be appropriate in Lithuania as well after public debate... Dr Andrius Narbekovas who is both a priest and a doctor, and a member of the Health Ministry’s bioethics commission, told the media:
“The Ministry of Health should protect health and life, instead of looking for ways to take life away. It goes without saying that it is … profitable and cost effective … But a democratic society should very clearly understand that we have to take care of the sick, not kill them.” »
Sitographie :
http://www.bioedge.org/index.php/bioethics/bioethics_article/11071
http://www.delfi.lt/news/daily/health/naujoji-ministre-kelia-nepatogia-ideja.d?id=65382836
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