Le traumatisme provoqué par les immenses pertes de la 1ère Guerre mondiale a été tel que depuis 1915 la volonté politique et nationale de garder vivante la mémoire des soldats morts sur les divers théâtres d’opération ne s’est jamais démentie.
Les monuments commémoratifs se succédèrent, associant les morts des autres grands conflits dans lesquels la France a été engagée.
11 novembre 2014, alors que la Grande Guerre a commencé il y a plus d’un siècle et que tous les survivants ont disparu,
« l’Anneau de la Mémoire » est inauguré par le président de la République, François Hollande, près de la nécropole de Notre Dame de Lorette dans le Pas de Calais. Un siècle après la volonté de commémorer semble toujours vivace mais a-t-elle toujours la même signification ?
1 – Une volonté précoce de commémorer
Dès le 29 décembre 1915 le Parlement français décréta que tout militaire français ou allié mort avait le droit à une sépulture perpétuelle aux frais de l'Etat. Le 18 février 1916 fut créé un Service général des pensions et un Service des sépultures. Le 31 juillet 1920 les cimetières militaires devinrent cimetières nationaux avec regroupement des tombes tandis que sur les sites des grandes batailles, des comités se créaient pour la réalisation de monuments commémoratifs.
1 – 1 – A Verdun :
L’âpreté des combats pour le contrôle de Verdun fit que dès 1916 on avait lancé l'idée d'un mausolée national. Le monument fut conçu à l’initiative du général Valantin, commandant de la place militaire de Verdun et surtout de Mgr Charles Ginisty, évêque de Verdun. Il prêcha et quêta partout dans le monde pour donner une sépulture digne aux restes des 130 000 soldats non identifiés découverts jour après jour sur le site de Verdun.
« Joseph s'appuie sur moi. Nous descendons dans le ravin. Le talus par lequel nous descendons s'appelle les Alvéoles des Zouaves... Les zouaves de l'attaque de mai avaient commencé à s'y creuser des abris individuels autour desquels ils ont été exterminés. On en voit qui, abattus au bord d'un trou ébauché, tiennent encore leur pelle-bêche dans leurs mains décharnées ou la regardent avec leurs orbites profondes où se racornissent des entrailles d'yeux. La terre est tellement pleine de morts que les éboulements découvrent des hérissements de pieds, de squelettes à demi vêtus et des ossuaires de crânes placés côte à côte sur la paroi abrupte, comme des bocaux de porcelaine. Il y a dans le sol, ici, plusieurs couches de morts, et en beaucoup d'endroits l'affouillement des obus a sorti les plus anciennes et les a disposées et étalées par-dessus les nouvelles. Le fond du ravin est complètement tapissé de débris d'armes, de linge, d'ustensiles. On foule des éclats d'obus, des ferrailles, des pains et même des biscuits échappés des sacs et pas encore dissous par la pluie. Les gamelles, les boîtes de conserves, les casques sont criblés et troués par les balles, on dirait des écumoires de toutes les espèces de formes ; et les piquets disloqués qui subsistent sont pointillés de trous. » (Extrait de « le Feu » d’Henri Barbusse p.269)
Au fort de Douaumont, terrible lieu de bataille, dès la fin de la guerre un "ossuaire provisoire" avait été établi. Il fut remplacé par l'ossuaire des architectes Léon Azéma (Grand Prix de Rome), Max Edrey et Jacques Hardy. Nécropole nationale associant les 4 cultes, catholique, protestant, Israélite et musulman. Le monument abrite un cloître de 137 mètres de long voûté en plein cintre, 018 alvéoles renfermant les 46 sarcophages en granit rose de Perros-Guirec posés sur les fosses d'ossements, éclairés par des vitraux diffusant une lumière or et pourpre. Au dessus de chacun des tombeaux le nom d'un secteur de la défense de Verdun : Mort-Homme, Ravin de la Mort, Bois des Caures...où les corps anonymes ont été trouvés. Les mosaïques du sol sont ornées d'immenses Croix de guerre, Médailles militaires, et Légions d'Honneur. Le cimetière compte 16 142 tombes individuelles de soldats français, dont un carré pour 592 soldats des troupes coloniales. La bataille avait duré à Verdun près de 300 jours.
La première pierre est posée le 22 août 1920 par le Maréchal Pétain, surnommé le « vainqueur de Verdun », président d'honneur du Comité de l'Ossuaire. L’ossuaire définitif fut inauguré en juin 1929 par le président de la République Gaston Doumergue et par Mgr Ginisty, évêque de Verdun. L’inauguration officielle de tout le site n’eut lieu que le 7 août 1932 par le président de la République Albert Lebrun qui déclara : « C’est ici le cimetière de la France » et salua ceux qui ont eu « la pieuse idée de ce monument, qui porte à son fronton le mot symbolique « Pax » : Paix des morts. Mais on peut espérer que ceux qui dorment ici sont morts aussi pour la paix des vivants. »
A Verdun la statue du "Monument de la Victoire" fut réalisée par le sculpteur breton Jean BOUCHER (auteur de la Statue de Renan à Tréguier).
1 – 2 – A Ablain Saint Nazaire (Pas de Calais) : la nécropole de Notre Dame de Lorette est la plus grande de France
Sur une colline à 165m d’altitude se trouvait avant guerre une chapelle dédiée à Notre Dame de Lorette.
Un oratoire y avait été édifié en 1727 par le peintre Florent Guilbert à la suite de sa guérison lors d’un pèlerinage à la Santa Casa de la Vierge Marie à Lorette en Italie. Il devint un lieu de pèlerinage très prisé par les habitants de la région qui prirent l’habitude de surnommer le lieu Notre-Dame de Lorette au lieu de son nom géographique de mont Coquaine. Il fut détruit en 1794 pendant la Révolution française, mais les fidèles édifièrent une chapelle de fortune sous un tilleul planté à côté. En 1815, le curé d'Ablain Saint-Nazaire obtint du préfet et de l'évêque d'Arras l'autorisation de reconstruire, aidé par des volontaires, une chapelle mise en service le 8 septembre 1819. Le flot des pèlerins grandissant, l'évêque d'Arras autorisa son extension.
La chapelle se trouva au cœur des combats qui ravagèrent la colline et elle fut détruite en mai 1915. Des combats sanglants eurent lieu pour le contrôle de cette position stratégique. En un an, 188 000 soldats, dont 100 000 français, sont morts pour défendre ou prendre « l'éperon de Notre-Dame-de-Lorette ».
Immédiatement après guerre, les soldats édifièrent de leurs mains un oratoire provisoire et le site fut retenu pour réunir les dépouilles de soldats provenant de plus de 150 cimetières de l'Artois et des Flandres françaises. Le cimetière est un vaste espace de 13 ha (645 m d'ouest en est, 200 m du sud au nord). C'est le plus grand cimetière militaire français : 40 058 corps reposent dans des tombes individuelles et des milliers dans huit ossuaires.
La chapelle est de style romano-byzantin en croix latine, les murs sont parés de pierre de Givet reconstituée. Elle mesure 46 mètres de long pour 14 de large, le transept mesure 30 mètres, la coupole à la croisée du transept culmine à 34 mètres de haut. Elle est l’œuvre de l'architecte lillois Louis-Marie Cordonnier qui a édifié ou restauré plusieurs églises dans le Nord Pas-de-Calais et aussi la célèbre basilique de Lisieux qui montre beaucoup de similitudes avec la chapelle de Notre-Dame de Lorette.
Le 12 septembre 1920 un projet s'étendant sur 25 hectares fut adopté, soutenu par Mgr Julien, évêque d'Arras. Le monument fut inauguré en 1925 et réalisé sur les plans de l'architecte Louis Cordonnier, de l'Institut auteur du Palais de la Paix à La Haye.
( A suivre ...)