Après les restes de la Vénus Hottentote rendue à l’Afrique du sud par la France, c’est la tête du guerrier Ataï qui revient en Nouvelle Calédonie dans le cadre de cérémonies officielles et traditionnelles.
Dans quelles circonstances la tête d’Ataï a-t-elle été rendue au peuple kanak ?
En 1997, Didier Daeninckx en visite en Nouvelle-Calédonie à l’invitation de la bibliothèque de Nouméa fait des lectures en brousse. Près de Poindimié, « autour d’un feu de camp, en mangeant du poisson cuit au lait de coco dans des feuilles de bananier », on lui parle de « Kanak exposés pendant des mois, au milieu des animaux sauvages, dans les zoos européens ». Aux archives de Nouméa et Paris, il apprend qu’un groupe de Kanak a été obligé de parler un langage « sauvage », pendant l’Exposition Coloniale de 1931. « Il s’agissait pourtant de chauffeurs de camion, d’employés, de pêcheurs… » explique l’écrivain.
http://www.hgsavinagiac.com/article-31615907.html
Plusieurs sont prêtés contre des crocodiles à un cirque allemand, la maison Hagenbeck, pour faire le spectacle à Berlin et Munich.
A cette époque, l’équipe de France de football s’illustre avec son joueur défenseur Christian Karembeu. Or, un des « sauvages » de l’Exposition Coloniale s’appelait Willy Karembeu. Il rencontre le joueur. « Je lui ai montré une photo agrandie d’époque, raconte Daeninckx, il m’a aussitôt désigné Willy. C’était son grand-père paternel. Il a aussi reconnu un arrière grand-père et un grand oncle. » Il s'est lui aussi prononcé en faveur du retour de la tête d’Ataï.
1 - Le retour du crâne d’Ataï : un long combat des Kanak
En 1946, les Mélanésiens obtiennent la citoyenneté française.
En 1968, le mouvement indépendantiste kanak naît avec la création du « Groupe 1878 » – en souvenir d’Ataï.
Entre 1984 et 1988, une nouvelle insurrection gagne toute l’île, « les Événements ». Des maisons « caldoches » sont brûlées, des barricades dressées en brousse, dix rebelles kanaks sont tués. La violence culmine avec le massacre de la grotte d’Ouvéa. Les accords de Matignon du 26 juin 1988, signés par le premier ministre Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, pacifient « le caillou » et redistribuent le pouvoir entre Français et Mélanésiens. Cet accord stipule que la tête du Grand Chef Ataï doit être restituée aux Kanak.
Interrogé par l’AFP le 3 septembre 2014, Cyprien Kawa, fils de Bergé, déclarait : Ce retour "C'est l'aboutissement d'un long combat qui a certes été porté par un clan mais qui aujourd'hui nous permet de rassembler tout le pays kanak et les Calédoniens".
Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre se rend dans l'archipel en juillet 2013 et y déclare que le crâne d'Ataï "a vocation à revenir en Nouvelle-Calédonie". Cette position publique avait été permise à la suite de la rencontre avec le Sénat coutumier qui jouait le rôle de conciliateurs entre clans.
2 - Les cérémonies du retour
Le 28 août 2014 à Paris, au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), en présence de la ministre française des Outre-Mer Mme George Pau-Langevin et en d'une délégation du sénat coutumier de Nouvelle Calédonie, les crâne d'Ataï et de son compagnon ont été remis à Bergé Kawa, grand chef du district de La Foa et descendant direct d'Ataï. Les cérémonies traditionnelles ont été marquées par la coutume d'au revoir et la plantation d'un arbre dans les jardins du Muséum.
"Ces crânes jamais exposés au public et jamais perdus, - a rappelé le directeur de l'établissement, Thomas Grenon - viennent d'une des plus grandes collections mondiales de restes humains." En les rendant à leurs descendants, l'Etat français veut tourner, une fois encore, la page du passé colonial. Depuis vingt ans, la construction du Centre culturel Tjibaou, la création d'une Académie des langues kanak et d'un Sénat coutumier ont constitué les étapes de ce processus. Après la reconnaissance de l'étendard kanak, qui flotte depuis 2010 à côté du drapeau français, une grande exposition au Musée des Arts Premiers du quai Branly en 2013 – elle était consacrée à la culture kanak et intitulée Kanak- l'Art est une parole. Elle a rassemblé plus de 300 œuvres et documents issus de collections publiques d'Europe - Autriche, Suisse, France, Allemagne et Italie - et de Nouvelle-Calédonie -, cette restitution devait être un geste fort destiné à réconcilier les indépendantistes et la France.
Mais l'intervention du grand chef Bergé Kawa a changé la tonalité consensuelle de la cérémonie. Invoquant à plusieurs reprises la "justice divine" et "la Providence divine" , le chef mélanésien a dressé un tableau sombre de la situation de l'archipel, insistant sur "deux réalités qui ne cessent de s'affronter à cause d'enjeux économiques et géopolitiques" mêlant les morts des rebelles de 1878 à celles d'Eloi Machoro et de Marcel Nonaro, abattus par le GIGN, lors des affrontements de 1985 et celles de Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwené, assassinés par un extrémiste indépendantiste en 1989. "Le peuple kanak est désabusé et sinistré dans son propre pays", a-t-il martelé, en réclamant au Premier ministre et au Président de la République pour "la restitution de tout le pays kanak". "Ni les multinationales ni le gouvernement [autonome] de Nouvelle-Calédonie ne peuvent se substituer à l'Etat français qui nous a spoliés et doit nous rendre nos biens" a-t-il fortement clamé. Il a ensuite dénoncé la situation du " peuple kanak séquestré sur son propre territoire et pris en otage par des multinationales sans scrupules et un gouvernement local de pacotille complètement corrompu". Il lui a été alors discrètement notifié d'abréger son exposé. Ce que Bergé Kawa a accepté aux cris de "Vive la France! Vive Kanaky!", remerciant cependant la France pour son geste!
En réponse la ministre française des Outre-Mer Mme George Pau-Langevin a souligné sa compréhension du traumatisme provoqué par "la perte des repères identitaires" liée à la colonisation, tout en envisageant l'avenir d'un "nouveau destin partagé" à propos des discussions qui doivent s'ouvrir sur l'évolution institutionnelle de l'archipel - autonomie large ou souveraineté totale-. Elle a terminé sur une note d’espoir : "les ombres des drames du passé doivent laisser la place à la lumière de l'apaisement dans le respect de l'autre".
3- Guérir la mémoire et réparer les torts
Pour le grand chef de Lifou, Pascal Sihaze le retour du crâne d’Ataï est un moment clé : "Nous sommes en train de vivre un évènement de taille. Il est important de guérir la mémoire pour repartir sur des bases nouvelles".
Bergé Kawa appelle à organiser une "table ronde entre l'Etat et le peuple kanak" pour que soient restituées les terres jadis confisquées : carte de l'époque à l'appui il souligne que « les derniers lots ont été attribués en 1877 et ce sont encore aujourd'hui des propriétés privées ».
Le rituel funèbre qui a entouré le retour des têtes
Les reliques du grand chef kanak Ataï et de son compagnon sorcier-guérisseur Mèche sont arrivées le 3 septembre 2014 à l'aéroport international de Tontouta en Nouvelle-Calédonie, c’est là que la première phase des cérémonies coutumières a été réalisée.
Les Nouvelles calédoniennes rapportent :
« Foulard à carreaux dans les cheveux, Félicienne n’a pas compté les kilomètres depuis Poindimié. La nuit est fraîche et digne à l’aéroport international de La Tontouta, mardi soir 2 septembre, peu avant minuit. Et "le geste pour Ataï" s’impose naturellement, à entendre la dame à la voix douce. L’hommage devait être marqué, sur place. Parce que "c’est notre flambeau, ajoute son mari à la barbe fleurie. C’est un père et un frère, c’est notre modèle, Ataï". Derrière un petit groupe, les deux cercueils, celui du guerrier kanak et de son "sorcier", sont placés avec précaution dans le long corbillard blanc. »
Les cercueils ont été ensuite escortés par les gendarmes jusqu’à la tribu de petit Couli à Sarraméa dans les montagnes verdoyantes, à 120 km au nord-ouest de Nouméa, les membres du clan descendant d'Ataï ont accueilli les chefferies kanak de tout l'archipel et des centaines de personnes qui ont suivi l’événement. Toute la matinée, Bergé Kawa et les membres de son clan ont reçu des points coutumiers - nattes, ignames, étoffes, sacs de riz - des délégations représentant les chefferies des huit aires coutumières kanaks ou les églises. Selon les Nouvelles calédoniennes « Les mots sont dosés. Les silences sont respectueux. Les présents, de l’igname à la sculpture, sont posés sur la natte. "Avant, c’était la hache de guerre, a noté le sénateur nengone David Sinewami. Maintenant, c’est la hache de la paix." Pour construire un pays. » Et poursuivent les Nouvelles calédoniennes « L’idée est bien là : ce retour des deux reliques n’appartient plus à l’histoire d’une famille, d’une aire, mais bien à l’histoire de la Calédonie, comme l’a précisé Cyprien Kawa, chef de clan et fils de Bergé. Une page se tourne, une autre s’ouvre. La Charte du peuple kanak, portée par le Sénat coutumier, a été proclamée fin avril 2014. Il faut maintenant travailler sur la réconciliation. »
Le leader paysan, José Bové d’Europe Ecologie Les Verts, qui a tissé depuis longtemps des liens avec les indépendantistes kanaks et apporté sa contribution au retour du crâne d'Ataï, était également présent. Il a participé à la bataille aux côtés des chefs coutumiers, après une demande formulée à Sarraméa en 2010. "Pendant quatre ans, on a fait le travail avec le ministère des Outre-Mer, l’Élysée, l’ensemble de l’administration…" a déclaré José Bové, pour l’altermondialiste ces cérémonies "marquent la reconnaissance par l’État français de ce qui s’est passé en 1878".
« Je remercie l’État qui a bien voulu accepter les démarches lancées il y a plus de dix ans », a déclaré le grand chef Bergé Kawa au haut-commissaire Vincent Bouvier lors d’une coutume sous les étoiles de Païta.
Les têtes étaient enfermées dans deux petits cercueils sur lesquels étaient placés des coiffes traditionnelles, une sculpture et une hache ostensoir sous un abri en tôle avant de rejoindre la salle mortuaire dans la maison commune du Petit Couli, pour une année de deuil, conformément aux rituels kanaks. Cette année doit être mise à profit pour achever la réconciliation avec les clans de Canala, dont les ancêtres avaient rejoint les rangs de l'armée coloniale, et longtemps considérés comme des traîtres. Les cercueils reposeront à la tribu de Petit Couli à Sarraméa pendant un an.
Le 1er septembre 2015, les crânes d’Ataï et du sorcier Mèche partiront définitivement, selon le vœu des coutumiers, à l’ancienne tribu de Winrinha, tribu de ces guerriers du clan Daweri.
Pour le sénateur Sihaze, "on peut tuer le corps, mais pas l’âme".
" Je ne trouve pas les mots pour dire combien je suis ému. C'est comme une résurrection pour le grand père qui est de retour aujourd'hui", a déclaré à l'AFP Bergé Kawa.
Au total le retour en Nouvelle-Calédonie des crânes de Ataï et Mèche représente une étape majeure du processus de décolonisation en cours dans l'archipel selon les termes de l'accord de Nouméa signé en 1998 par le Premier Ministre Lionel Jospin et prévoyant au plus tard en 2018 l’organisation d’un référendum d'autodétermination.
Sitographie :
http://www.ladepeche.pf/article/societe/le-retour-du-guerrier