Après les restes de la Vénus Hottentote rendue à l’Afrique du sud par la France, c’est la tête du guerrier Ataï qui revient en Nouvelle Calédonie dans le cadre de cérémonies officielles et traditionnelles.
Dans quel contexte historique s’inscrit l’affaire ?
La vidéo :
Lors de la cérémonie de restitution du crâne d’Ataï, Cyprien Kawa, fils de Bergé, a affirmé devant les participants présents, quasiment tous kanaks: "Malgré les 136 ans qui nous séparent de 1878, l'histoire des clans est restée, la mémoire a été préservée".
1 - « Retour sur image » : petite histoire de la Nouvelle Calédonie :
Vidéo INA sur l’histoire de la Nouvelle Calédonie :
http://www.ina.fr/video/CAB88026167
La colonisation :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Nouvelle-Cal%C3%A9donie#Colonisation_.281841-1944.29
Histoire de la Nouvelle Calédonie par la Maison de la Nouvelle Calédonie - 75001 Paris - :
http://www.mncparis.fr/uploads/histoire-mnc.pdf
http://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/site/La-Nouvelle-Caledonie/Histoire/Histoire
La Nouvelle Calédonie fut découverte tardivement en septembre 1774 par l’Ecossais James Cook qui lui donna ce nom en référence au nom antique de l’Écosse. L’Amiral français d’Entrecasteaux longea la côte ouest en 1792 et ce n’est qu’en 1825 que Dumont d’Urville entreprit le relevé de ses côtes.
La population indigène du pays est mélanésienne. Leur dénomination de « kanak » vient de l’hawaïen kanaka signifiant « homme », « être humain » ou « homme libre ». Le terme se généralisa au 19ème s. avec l’usage des premiers navigateurs et marchands européens, sous la graphie « canaque » (Kanaka en anglais) à tout le Pacifique et en particulier pour désigner les populations indigènes de Mélanésie. Des écrits du 19è s. s’en servent aussi pour désigner Marquisiens et Pascuans. Le mot prit peu à peu un sens péjoratif et fut ensuite limité aux seuls autochtones de Nouvelle Calédonie.
La présence de bois de santal odoriférant très prisé par les Chinois conduisit à l’installation des premiers européens, les « santaliers », à partir de 1841. Les missionnaires protestants et catholiques les suivirent de près. C’est sous Napoléon III le 24 septembre 1853 que le contre-amiral Febvrier-Despointes prit au nom de la France possession du « caillou », celle-ci s’acheva par le contrôle en 1858 des Îles de la Loyauté, soit au total 19 100 km². L’île fait 400 km de long, 50 ou 70 de large, le centre est montagneux, la brousse épaisse. Dès 1855 on s’efforça d’attirer les colons par l’adjudication de vastes concessions agricoles. Mais la progression de la colonisation fut lente, en 1870 les concessions représentaient 250 km² et 1300 colons dont 800 militaires. Le 26 janvier 1871 l’administration coloniale permit aux colons de délimiter eux-mêmes leurs concessions (les « permis d’occupation ») au détriment des tribus kanak implantées sur ces terres.
En 1871 on assista à l’arrivée de colons originaires de l’Alsace-Lorraine qui venaient d’être cédées à l’Allemagne.
2 – La Nouvelle Calédonie : un bagne aux antipodes de la France
Parallèlement se mit en place une forte population carcérale (comme en Australie) car un décret de l’administration de Napoléon III du 2 septembre 1863 décida le transfert en Nouvelle Calédonie des condamnés aux travaux forcés qui commencèrent à arriver par vagues régulières à partir de 1864. Astreints à résidence pendant la durée de leur peine ou « relégués à vie ». En 1877 la population pénale (11 000 personnes étaient le double de la population libre). Beaucoup firent souche sur l’île. En effet en bout de peine ils pouvaient obtenir une concession agricole de 4 hectares sur des terres alluviales (où ils plantaient haricots, coton et canne à sucre). Ils furent aussi rejoints par des relégués révoltés : vietnamiens, kabyles et Communards.
L’histoire de Paris est liée à celle de la Nouvelle Calédonie. En effet, à la suite de la première guerre franco-allemande de 1870, dans Paris assiégée, le 18 mars 1871 éclate la révolte des diverses forces de gauche de la ville, c’est la Commune de Paris qui dura jusqu’en mai. Les Versaillais entrent dans Paris, c’est la Semaine sanglante, elle fit plus de 30 000 victimes parmi les Communards tués les armes à la main ou fusillés sans jugement. Les conseils de guerre siégèrent pendant des mois et au printemps 1872 ont à leur disposition « la loi sur la déportation » du 13 mars 1872. Elle précise :
« - Article 2 : la presqu’île de Ducos dans la Nouvelle-Calédonie est déclarée lieu de déportation dans une enceinte fortifiée
- Article 3 : l'île des Pins et en cas d'insuffisance l’île de Maré, dépendances de la Nouvelle-Calédonie sont déclarées lieux de déportation simple pour l'exécution de l'article 17 du code pénal.
- Article 4 : les condamnés dans une enceinte fortifiée jouiront dans la presqu'île de Ducos de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer la garde de leur personne et le maintien de l'ordre. Ils seront soumis à un régime de police et de surveillance déterminé par un règlement d'administration publique qui sera rendu dans un délai de deux mois à partir de la promulgation de la présente loi. Ce règlement fixera les conditions sous lesquelles les déportés seront autorisés à circuler dans tout ou partie de la presqu'île, suivant leur nombre, et à s'y occuper de travaux de culture, ou d'industrie, et à y former des établissements provisoires par groupe ou par famille.
- Article 5: les condamnés à la déportation simple jouiront dans l'île des Pins, et dans l'île de Maré, d'une liberté qui n'aura pour limite que les précautions indispensables pour empêcher les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre. »
De mai 1872 à octobre 1878, 22 navires amènent en Nouvelle-Calédonie 4 243 déportés, condamnés pour faits en lien avec la Commune (sauf 90 condamnés arabes exilés après la grande insurrection kabyle de 1871). La plupart revinrent en France après l’amnistie de 1880. Dans les déportés se trouvent des figures de la Commune, notamment Henri Rochefort et Louise Michel... Elle fut détenue en Nouvelle Calédonie de 1873 à 1880, y obtint d’exercer son métier d’institutrice auprès des enfants de déportés puis dans les écoles de filles.
Les révoltés de la Commune furent témoins de la grande insurrection canaque de 1878 qu’ils soutinrent pour la plupart à l’instar de Louise Michel.
3 - « Retour sur image » : 1878, révolte kanak contre le pouvoir colonial français :
A partir de 1877 les Français, colons et bagnards libérés, s’installent en « brousse » avec une autorisation de pâture du bétail sur les terres cultivées par les tribus. Ils mettent leur bétail sur les jachères des Kanaks, sans mettre de clôture, leurs troupeaux dévorent les cultures des paysans canaques. Rapidement, des incidents sporadiques éclatent dans toute l’île. Convoqué par le gouverneur de l’île, Jean Olry, le chef coutumier Ataï - d’après le « Mémoire Calédonien » de Nouméa – se présente devant lui et déverse un sac de terre en lui disant : « Voilà ce que nous avions » ; puis il vide un sac de pierres : « Voilà ce que tu nous laisses. » L’événement révèle une personnalité hors du commun. Le gouverneur lui répond de protéger ses cultures par des barrières, Ataï réplique : « Lorsque les taros iront manger les bœufs, je les construirais. »
Exaspérés par la confiscation de leurs terres les plus fertiles et de leurs villages, les kanaks du centre-ouest de l’île se soulèvent contre le colonisateur français, le mouvement couvait depuis longtemps.
En 1878, Ataï s’allie en secret à plusieurs chefs pour chasser les Français. Les rebelles veulent attaquer la capitale Nouméa le 24 septembre, date anniversaire de l’occupation de l’île en 1853. Mais le 19 juin, suite à un nouveau désaccord pour les terres, la famille de l’ancien forçat « Chêne » est assassinée. En représailles, 10 chefs de tribu sont incarcérés. Ataï et ses amis ripostent. Le 25 juin au poste militaire de La Foa, un groupe de Kanak tue 4 gendarmes, puis 40 colons. Le 26, à Bouloupari, le poste de gendarmerie est détruit, les habitants abattus.
À Nouméa, la panique gagne les Français. 20 Kanaks sont exécutés après un pillage, cent trente sont exilés à l’île Nou. Le commandant Gally Passeboc réclame des renforts à l’armée d’Indochine pour combattre Ataï. La configuration de l’île favorise la guérilla kanak. Mi-juillet, le fort de Téremba est assiégé. Au Sud, le village de Bourail, où vivent des déportés kabyles, est attaqué. Le 23 juillet, les Français tombent dans une embuscade où Passeboc est tué. Son second, Rivière, continue l’offensive, brûle des villages, détruit les récoltes, mais l’offensive échoue face à des adversaires mobiles. Début août, les Français construisent un fort à La Foa. Ataï et 500 guerriers en font le siège mais le Lieutenant de vaisseau Servant parvint à s’allier au Grand Chef de la tribu de Canala, Gelina, divisant ainsi les forces kanak. Au Nord, le village de Moindou est assailli le 21 août, puis celui de Poya, - 10 Français tués – et, dit-on, rituellement mangés.
Les événements basculent avec l’arrivée des renforts d’Indochine. Fin août, une troupe formée de soldats, de bagnards, d’anciens communards à qui on a promis la liberté, de Kabyles et de guerriers de Canala forment trois colonnes pour encercler les rebelles.
Le 1er septembre 1878, un détachement surprend Ataï dans son campement, l'un des guerriers Canala, Ségou, tua Ataï et son compagnon "sorcier" Mèche, leurs têtes furent ensuite tranchées.
La communarde Louise Michel déportée sur l’île, qui soutient l’insurrection, a décrit sa mort:
« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits ! Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses trois fils et le barde Andja, qui se servait d'une sagaie comme d'une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l'un mort, les autres blessés ; Andja s'élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n'est qu’après plusieurs coups encore qu'Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. [...] Que sur leur mémoire tombe ce chant d'Andja : Le Takata, dans la forêt, a cueilli l'adouéke, l'herbe bouclier, au clair de lune, l'adouéke, l'herbe de guerre, la plante des spectres. Les guerriers se partagent l'adouéke qui rend terrible et charme les blessures. Les esprits soufflent la tempête, les esprits des pères ; ils attendent les braves ; amis ou ennemis, les braves sont les bienvenus par delà la vie. Que ceux qui veulent vivre s’en aillent. Voilà la guerre ; le sang va couler comme l’eau sur la terre ; il faut que l'adouéke soit aussi de sang. » (Mémoires)
L’insurrection dura jusqu’en fin décembre. La répression fut féroce. Des centaines de Mélanésiens trouvent la mort – 5% de la population -. Tous les chefs rebelles sont exécutés sans jugement, les clans révoltés déplacés ou déportés à l’Ile des Pins, leurs terres confisquées. Ces spoliations, le cantonnement sur des mauvaises terres, la colonisation de l’île par les bagnards, ajoutez les épidémies, vont considérablement affaiblir les Kanak. Leur population diminue de moitié. Il n’en reste que 27000 habitants en 1921, la moitié de 1850. Le redressement sera long.
La révolte sanglante dura presque une année.
Ataï est souvent présenté comme le premier nationaliste kanak. Un millier de Kanaks et deux cents Européens y périrent. Des fermes d’élevage françaises furent détruites et des tribus canaques furent rayées de la carte, la révolte créa une profonde défiance entre les communautés canaque et européenne.
En outre, pour écraser le mouvement l'armée française recruta des supplétifs venus de Canala à l'Est de la Nouvelle Calédonie. La mort d’Ataï est donc à l’origine de dissensions entre clans kanak, c’est pourquoi ils ont dû procéder de nos jours à des rites de réconciliation avant le retour de la tête d’Ataï.
Le grand chef Bergé Kawa dans son discours de septembre 2014 a proclamé la légitimité de la révolte de 1878 : « une légitime défense face à une politique d'extermination insidieuse qui n'a pris fin qu'au lendemain de la Seconde guerre mondiale ». Il n’a pas hésité à rapprocher Ataï de Vercingétorix et De Gaulle. Il s’en est aussi pris au Sénat coutumier kanak dont il se considère "exclu". Octave Togna, représentant ce Sénat, n'a pas jugé bon de commenter ces propos.
Un livre sur la révolte de 1878 par Henri Rivière – 1881 – Calmann- Lévy 335 p.:
http://www.picture-worl.org/_media/livre-insurrection-canaque-henri-riviere.pdf
4 - La tête d’Ataï devient objet scientifique d’étude : La délicate question des droits des minorités sur les collections ethnographiques des musées occidentaux
Le lieutenant de vaisseau Servant récupéra les têtes d’Ataï et de Méche, les vendit 200 francs à un officier de marine – à l’époque les scalps des rebelles se vendaient 15 francs, les têtes 100 -.
Les têtes d’Ataï, placées dans un bocal d'alcool phéniqué, ont été expédiées au Musée d'ethnographie du Trocadéro par un médecin de marine au professeur Paul Broca, président-fondateur de la Société d'anthropologie de Paris (S.A.P.) pour étude afin de faire avancer ses travaux sur l'anthropométrie crânienne. Les scientifiques européens se passionnent à l’époque pour un nouveau champ de recherches: l'anthropologie physique, consacrée à l'étude de la diversité morphologique et physiologique des groupes humains, le professeur Paul Broca était le pionnier de cette discipline.
Le 23 octobre 1879, Paul Broca présente à ses collègues les deux crânes mais ils n’ont jamais été exposés. Le bulletin de la société (IIIe série, T2, p 616) dit : « La magnifique tête du chef Ataï attire l’attention ; le front surtout est très beau, très haut et très large. Les cheveux sont complètement laineux, la peau tout à fait noire. Le nez est très platyrrhinien, aussi large que haut. » Paul Broca en fait exécuter un moulage de plâtre, puis la décharne et découpe la boîte crânienne pour en extraire le cerveau. Il fait graver à même l’os « Ataï, chef des néo-calédoniens révoltés », puis le crâne est rangé dans une armoire parmi des centaines d’autres. Ils sont restés dans les réserves du Muséum d'histoire naturelle de Paris. En 1988 Michel Rocard les fait chercher, en vain.
Ces têtes sont revenues sur le devant de la scène à la suite des travaux de l'écrivain Didier Daeninckx.
Dès 1997, l’auteur de romans engagés, se rend en Nouvelle-Calédonie à l’invitation de la bibliothèque de Nouméa. Il fait des lectures en brousse. Près de Poindimié, « autour d’un feu de camp, en mangeant du poisson cuit au lait de coco dans des feuilles de bananier », on lui parle de « Kanak exposés pendant des mois, au milieu des animaux sauvages, dans les zoos européens ». Aux archives de Nouméa et Paris, il apprend qu’un groupe de Kanak a été obligé de parler un langage « sauvage », pendant l’Exposition Coloniale de 1931. « Il s’agissait pourtant de chauffeurs de camion, d’employés, de pêcheurs… » explique l’écrivain.
Voir mon blog :
http://www.hgsavinagiac.com/article-31615907.html
Plusieurs sont prêtés contre des crocodiles à un cirque allemand, la maison Hagenbeck, pour faire le spectacle à Berlin et Munich. Didier Daeninckx en tire un roman, « Cannibale » (1998 - Folio, 3290).
A cette époque, l’équipe de France de football s’illustre avec son joueur défenseur Christian Karembeu. Or, un des « sauvages » de l’Exposition Coloniale s’appelait Willy Karembeu. Il rencontre le joueur. « Je lui ai montré une photo agrandie d’époque, raconte Daeninckx, il m’a aussitôt désigné Willy. C’était son grand-père paternel. Il a aussi reconnu un arrière grand-père et un grand oncle. » Il s'est lui aussi prononcé en faveur du retour de la tête d’Ataï.
Voir mon blog :
Didier Daeninckx publie en 2002 un roman historique inspiré du destin d'Ataï, "Le retour d'Ataï".
En 2011 un anthropologue du Musée de l’Homme lui apprend qu’il a la tête d’Ataï dans une armoire. « En fait, explique Daeninckx, il s’agissait de son crâne décharné par Broca, pas de sa tête - dans le formol »- . L’écrivain demande à voir crâne et moulage, informe les Kanak, ce qui fait la Une des journaux calédoniens. Le grand chef Bergé Kawa de la tribu de Petit Couli à Sarraméa, descendant d’Ataï d’après le droit coutumier, appelle sur sa page Facebook « toute la population kanaky » à célébrer le 24 septembre le retour du Grand Chef chez lui. Il obtient des assurances du commissaire de la République et du directeur du Musée de l’Homme, Michel Von Praët, que le crâne va être rendu mais la restitution se fait attendre.
Michel Van Praët interviewé par Le Monde explique : « Au départ, les responsables du patrimoine craignaient que la France soit contrainte de restituer toutes de reliques détenues dans ses musées. Certains se demandaient si elles ne doivent pas être toutes conservées en un seul endroit, car la recherche anthropologique doit continuer sans être paralysée par des conflits communautaires. »
Selon la rumeur alimentée par les démarches restées sans suite de descendants d'Ataï et de leaders indépendantistes pour le retour du crâne, les deux têtes auraient été "égarées". Cette rumeur a été démontée par un épais dossier mis en ligne par le ministère des Outre-mer, les deux têtes sont toujours restées dans les réserves du muséum. Des examens anthropologiques et médico-légaux ont confirmé qu'il s'agissait bien du crâne d'Ataï. Un communiqué du Ministère a rappelé que "le Muséum national d'histoire naturelle possède une des plus grandes collections de restes humains du monde, et cette collection constituée au terme d'un très patient travail, qui a culminé entre 1850 et 1900, a été entreprise dans le but avéré d'illustrer la diversité anatomique de l'espèce humaine".
Pour débrouiller ces questions, un colloque international s’était tenu les 22-23 février 2008 au musée du Quai Branly, réunissant juristes, directeurs de musées et représentants des peuples autochtones sur le thème : « Des collections anatomiques aux objets de culte : Conservation et exposition des restes humains dans les musées.» Les « restes humains » comme les têtes ont été considérés comme appartenant aux descendants des disparus.
http://www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/pdf/Version_Francaise_Symposium_Restes_Humains.pdf
Michel Van Praët reprend : « Nous n’avons aucune réticence à rendre la tête d’Ataï. À la différence des têtes maories, il s’agit juste d’un transfert d’une institution à une autre, puisque nous sommes en France. Mais à qui les rendre ? … Nous voudrions une démarche consensuelle, qu’un accord soit trouvé entre les nombreux prétendants. Quand ce sera fait, nous la rendrons. Je suggère qu’elle soit exposée au Centre Culturel Tjibaou. »
La restitution de ces « pièces de musée constituées par des corps humains » s’est posée à plusieurs reprises. L'affaire d’Ataï rappelle celle de la restitution par le Musée de Rouen des têtes maories qu’il détenait à la Nouvelle-Zélande, qui avait mobilisé le Parlement pour la recherche d’une solution. En 2011, à la demande de la Nouvelle-Zélande, le maire de Rouen avait décidé de restituer la tête d’un guerrier maori détenue par la ville depuis 1875 – les colons faisaient alors commerce d’homme tatoués, revendus aux musées occidentaux : « Souvent, ils faisaient des chasses à l’homme pour se procurer ces trophées » rappelle Didier Daeninckx, membre du comité d’intellectuels qui soutient le maire de Rouen.
En 2002, une autre loi avait permis à la restitution l'Afrique du Sud les restes de la Vénus hottentote.
Voir mon blog :
http://www.hgsavinagiac.com/article-31495623.html
&
http://www.hgsavinagiac.com/article-31303472.html
Pour l’affaire d’Ataï, l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie au territoire de la République française a permis d'éviter la voie législative. Devenu un symbole pour le peuple canaque, le retour de la tête d'Ataï sur sa terre natale faisait l’objet d’un paragraphe dans les accords de Matignon de juin 1988 qui ont mis fin au conflit contemporain en Nouvelle-Calédonie. Il aura cependant fallu plus de 25 ans pour que cet accord devienne réalité, preuve du caractère délicat de la question. En effet la majorité des conservateurs de musée et des scientifiques sont réticents sur ces restitutions. La loi du 4 janvier 2002 prévoit néanmoins une procédure - très réglementée - de déclassement des biens des collections des musées, après avis d'une commission nationale scientifique des collections. Dans le cas d'Ataï et des têtes maories, plus que la valeur muséographique, c’est le risque de précédent qui était surtout en cause.
La question de la restitution des restes humains débouche très vite sur celle tout aussi sensible des œuvres d'art plus ou moins pillées ou obtenues dans des conditions d'échange douteuses, qui peuplent tous les grands musées des pays développés.
Voir mon blog :
http://www.hgsavinagiac.com/article-rose-valland-et-le-projet-de-musee-d-hitler-a-linz-41150458.html