Présentation : Genèse d'un paradoxe contemporain
En 2014 un « appel national pour la création d'un mémorial en hommage aux enfants, femmes et hommes fragilisés par la maladie et le handicap, qui furent exterminés par le régime nazi ou condamnés à mourir par celui de Vichy » a été lancé par Charles Gardou, anthropologue, professeur à l’Université Lumière Lyon 2, auteur d’un travail universitaire sur le handicap ; associé à la députée européenne Sylvie Guillaume et à Jean-Marc Maillet-Contoz, directeur de Handirect.
Il a été relayé sur la toile par le site change.org :
Très vite 105 personnalités reconnues ont soutenu cette pétition - artistes, élus, intellectuels, journalistes, médecins, responsables d'associations, sportifs … -, notamment l’anthropologue Françoise Héritier, le généticien Axel Kahn, les philosophes Edgar Morin et Julia Kristeva, les écrivains Tahar Ben Jelloun, Pascal Bruckner et Sylvie Germain, les journalistes Jean-Claude Guillebaud, Serge Moati et Patrick Poivre d’Arvor, les psychiatres Marcel Rufo et Serge Tisseron, mais aussi Philippe Pozzo di Borgo, Olivier Nakache et Eric Toledano, l’inspirateur et les réalisateurs du film Intouchables.
J’en avais fait état en son temps sur mon blog :
Le soutien du président de la République F. Hollande
Dans un courrier daté du 11 février - date symbolique du 10ème anniversaire de la loi sur le handicap de 2005 -, le Président de la République a décidé d’entendre cet appel: "Je partage votre volonté, qui est aussi celle des 75.000 personnes qui ont signé votre pétition, qu'à ce délaissement de la République ne s'ajoute pas le silence de l'oubli. Il est important que, dans les principaux lieux où cette tragédie s'est déroulée, des gestes puissent être effectués afin d'en rappeler le souvenir et d'en honorer les victimes".
En réalité la pétition a réuni 94 000 personnes : 81 000 signataires sur Change.org, auxquels s'ajoutent 9000 membres de l'Union départementale des Associations de Combattants et victimes de guerre du Val de Marne et 4 000 adhérents de l'Association Nationale des Cheminots Anciens Combattants.
Voir la vidéo de change.org :
Pour conclure :
Pour Carl Schmitt, le “juriste du IIIe Reich”, la souveraineté ou pouvoir de l’Etat, se définit comme “pouvoir de décréter l’état d’exception” : la création d’une catégorie juridique de la “vie indigne d’être vécue” est analysée comme cet état d’exception que l’Etat peut légitimer par rapport à la loi fondamentale qu’est l’interdiction du meurtre. Il affirme ainsi la légitimité première et absolue de l’Etat, qui est donc par essence « totalitaire » et échappe à toute norme. C’est faire de l’Etat la seule source légitime de normativité pour la société.
ANNEXES :
ANNEXE 1 : LA DÉCISION DU CSA DU 25 JUIN 2014
Le Conseil a été saisi de plaintes à la suite de la diffusion, dans les écrans publicitaires de M6, Canal+ et D8 entre le 21 mars et le 21 avril 2014, d’un message de sensibilisation à la trisomie 21. Intitulé « Chère future maman », il était soutenu par les associations Coordown, Les amis d’Éléonore et la fondation Jérôme-Lejeune, fondation dont la vocation est notamment la lutte contre l’avortement.
Le Conseil considère que ce message ne relève pas de la publicité au sens de l’article 2 du décret du 27 mars 1992. Bien qu’ayant été diffusé à titre gracieux, il ne peut pas non plus être regardé comme un message d’intérêt général, au sens de l’article 14 de ce même décret, puisqu’en s’adressant à une future mère, sa finalité peut paraître ambigüe et ne pas susciter une adhésion spontanée et consensuelle. En conséquence, le Conseil considère qu’il ne pouvait être inséré au sein des écrans publicitaires.
S’inscrivant dans une démarche de lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées, ce message aurait pu être valorisé, à l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, par une diffusion mieux encadrée et contextualisée, par exemple au sein d’émissions.
Le Conseil est intervenu auprès des chaînes afin de leur demander, à l’avenir, de veiller aux modalités de diffusion des messages susceptibles de porter à controverse.
Il a répondu en ce sens aux plaignants.
ANNEXE 2 : La liberté d’expression bafouée
Par Mariette Guerrien-Chevaucherie - École des avocats de Versailles -.
Le Mémorial de Caen, Recueil des Plaidoiries 2015, Concours des élèves-avocats. p.173-179
http://www.memorial-caen.fr/images/plaidoiries/eleves-avocats/Recueil2015_EA.pdf
Nous ne sommes pas aujourd’hui à l’autre bout du monde, au chevet d’Asia Bibi promise à la pendaison ; nous ne sommes pas non plus dans les ténèbres de Guantanamo. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury, nous sommes en France, berceau de ce qui fait notre fierté, les droits de l’homme.
Le 25 juin 2014, le CSA (1) a censuré un court-métrage de sensibilisation à la trisomie 21 diffusé par M6, Canal+ et D8 et visionné plus de cinq millions de fois sur Internet. Dans ce court-métrage, intitulé
« Chère future maman », plusieurs enfants et jeunes adultes trisomiques s’adressent à une future maman enceinte d’un enfant atteint de trisomie 21. Ils lui expriment toute la joie, l’amour que son enfant trisomique peut lui apporter. À cette occasion, les personnes trisomiques nous disent qu’elles sont heureuses, qu’elles peuvent vivre, travailler et aimer comme tout le monde.
Le 25 juin 2014, le Conseil a censuré ce témoignage en considérant « qu’il ne relève pas de la publicité au sens de l’article 2 du décret du 27 mars 1992. Bien qu’ayant été diffusé à titre gracieux, il ne peut pas non plus être regardé comme un message d’intérêt général, au sens de l’article 14 de ce même décret, puisqu’en s’adressant à une future mère, sa finalité peut paraître ambiguë et ne pas susciter une adhésion spontanée et consensuelle ». Parce qu’elles apparaissaient heureuses, les personnes trisomiques se sont vu retirer le droit de s’exprimer librement au sein des écrans publicitaires.
Choquée par une telle décision, une des jeunes actrices du court-métrage, Inès, trisomique, a formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État pour atteinte à sa liberté d’expression. Liberté fondatrice de la Convention européenne des droits de l’homme, pierre angulaire, orgueil de l’Occident, cheval de bataille de nos grands philosophes ! « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire » (2) ! Notre cher Voltaire s’est retourné dans sa tombe à l’annonce de la décision du CSA.
Les personnes atteintes de trisomie 21 ont, sur le fondement de l’article 10 de la Convention, le droit à la liberté d’expression. Inès a le droit de s’exprimer, sans restriction et sans pudeur. Elle a ce droit comme chacun de nous. Le 25 juin 2014, elle a été marginalisée, dans une société où la faiblesse humaine n’est pas la bienvenue. Sur ce constat, je soulève devant vous le non-respect de l’article 14 de la Convention qui interdit les discriminations.
Pour se justifier, le CSA retient trois arguments.
Il considère en premier lieu que ce message n’est pas d’intérêt général. Mais qu’est-ce que l’intérêt général ? L’intérêt général, c’est l’intérêt de la société dans son ensemble, le vôtre, le mien, celui des personnes handicapées. M. Jean-Frédéric Poisson considère que ce spot « met en valeur la capacité des enfants trisomiques à propager du bonheur autour d’eux. » Je considère qu’il est dans l’intérêt général que « la capacité des enfants trisomiques à propager du bonheur autour d’eux » soit connue de tous. Sauf à considérer que les personnes trisomiques n’ont pas les mêmes droits que les autres, parce qu’elles ont un troisième chromosome 21. Je pense que nous n’en sommes pas là aujourd’hui.
En deuxième lieu le CSA avance que la finalité de ce message « peut paraître ambiguë et ne suscite pas une adhésion spontanée et consensuelle ».
Alors oui, ce spot peut mettre mal à l’aise. Il dérange. Il culpabilise. Cependant il n’est pas le premier en la matière. Je tiens à rappeler que des spots choquants sont diffusés à foison sur nos écrans télévisés. Je pense notamment aux courts-métrages sur la sécurité routière qui nous glacent le sang. Qui oserait dire qu’ils sont inutiles ? Qui oserait dire qu’ils ne culpabilisent pas les mauvais conducteurs ? Le CSA les autorise car il est évident que dans notre for intérieur, nous sommes réceptifs aux messages de sensibilisation qu’ils transmettent. Pourquoi alors refuser la libre parole aux personnes trisomiques sous prétexte que leur spot ne susciterait pas une adhésion spontanée et consensuelle ?
Si toutes les émissions et spots télévisés devaient susciter une telle adhésion, imaginez-vous toutes les suppressions qu’il faudrait réaliser au sein des programmes télévisés !
En troisième lieu, le CSA conclut en énonçant que ce message « s’inscrivant dans une démarche de lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées, aurait pu être valorisé, à l’occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21, par une diffusion mieux encadrée et contextualisée, par exemple au sein d’émissions ». Les personnes trisomiques devraient alors attendre le 21 mars de chaque année, Journée mondiale de la trisomie 21, pour pouvoir s’exprimer sur les chaînes de télévision publique. Et qui plus est, elles devraient le faire dans le cadre d’un documentaire adapté, pour que chaque personne qui visionne ce spot ne soit pas surprise, et ne le voie pas sans le vouloir.
De quel droit une parole doit-elle être contextualisée ? Parce qu’Inès est trisomique alors sa parole est bridée, rangée bien soigneusement dans les documentaires scientifique ?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury, l’une des missions du CSA est notamment celle de contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et de lutter contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. Le CSA a pour mission de changer notre regard sur le handicap ; la trisomie 21 fait peur car elle est méconnue, car elle marque la différence, car elle n’est pas normale. Mais qu’est-ce que la normalité ?
Monsieur le Président du CSA, défendez-les ! Défendez le droit des personnes handicapées de s’exprimer librement et par tous les canaux de communication possibles ; défendez leurs droits à se faire connaître, à se faire aimer ! En bridant leur liberté d’expression vous les condamnez à l’oubli ; le grand public doit savoir que l’on peut être handicapé et heureux !
Je ne souhaite de votre part aucune pitié ni aucune complaisance. C’est de sagesse dont il est question aujourd’hui. Le professeur Jérôme Lejeune, pionnier de la génétique moderne, découvreur de la trisomie 21, n’en a pas manqué. Pour lui, la trisomie 21 a été le combat d’une vie. Il disait en ces mots : « Je n’ai plus qu’une solution pour les sauver, c’est de les guérir. » La guérison est en marche, en attendant ce jour, faisons preuve de sagesse, acceptons la différence. Reconnaissons le droit aux personnes handicapées de s’exprimer librement.
Monsieur le Président du CSA, pour l’honneur de l’institution que vous représentez, pour la liberté d’expression des personnes handicapées, annulez courageusement votre décision.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury, je n’ai qu’une question à vous poser : « Doit-on nier le droit aux personnes trisomiques de s’exprimer librement au grand public au motif que leur joie, leur vie, et leur bonheur seraient culpabilisants? »
1 Conseil supérieur de l’audiovisuel
2 Phrase attribuée à Voltaire dans la biographie qui lui a été consacrée par Evelyn Beatrice Hall : Stephen G. Tallentyre (pseud. de Evelyn Beatrice Hall), The Friends of Voltaire, Londres, Smith Elder & Company, 1906