LES SACRIFICES D’ENFANTS DANS LA BIBLE : LES FILLES DE LOTH, MOLOCH, LA FILLE DE JEPHTÉ
Les sacrifices d’enfants coexistent avec ceux des prisonniers. L’enfant, être innocent et pur, a une valeur sacrificielle qui paraît plus grande. Beaucoup de cosmogonies évoquent des dieux dévorant leurs enfants On retrouve des dieux dévorant leurs enfants dans la mythologie grecque, dans la mythologie mésopotamienne qui influence tout l’Orient méditerranéen et des traces sont présentes dans la Bible.
Voir : LA DIMENSION GÉOPOLITIQUE DE L’ENFANT-MARTYR : UNE HISTOIRE DU SACRIFICE (1)
& La dimension géopolitique de "l'enfant-martyr" : (2) IPHIGENIE
2 – LES SACRIFICES D’ENFANTS DANS LA BIBLE, LE CORAN ET LE MOYEN-ORIENT PRÉ -ISLAMIQUE
La Bible conserve la trace des sacrifices d’enfants au dieu Baal pratiqués par le Cananéens, les Phéniciens et les Carthaginois. Moloch dans la Bible est le nom du dieu auquel Ammonites cananéens sacrifiaient leurs premiers-nés en les jetant dans un brasier.
2.1 – L’INCESTE DE LOTH DANS LA BIBLE ET LES SACRIFICES D’ENFANTS
Un lien existe avec l’inceste de Loth.
Rappelons les faits : La Bible dans la Genèse au chapitre 19 rapporte la destruction de Sodome à cause de ses injustices et ses péchés. Loth, frère d’Abraham, eut la vie sauve mais en fuyant la ville où il laissait tous ses biens, sa femme malgré l’interdiction se retourna pour voir la scène et fut transformée en statue de sel. Il se retrouve seul avec ses deux filles vivant dans des grottes dans une atmosphère de fin du monde (destruction de Sodome et Gomorrhe par le feu) et d'extinction de l'humanité. Ses filles ont l'idée d’enivrer leur père et de s’unir à lui - union endogamique et incestueuse – 1 afin de renouveler l'espèce humaine.
Le thème a beaucoup inspiré les artistes, du 16ème au 18ème siècles, ils le traitent de façons très différentes.
Cependant ces représentations de l’inceste de Loth et ses filles ont en commun la mise en scène de l'ivresse, l’atmosphère de fin du monde avec parfois l'incendie de Sodome en arrière plan ou au moins son évocation par la fumée ou l'obscurité qu’elle provoque.
Par contre le traitement de l'attitude des deux sœurs varie : victimes soumises, abandonnées ou provocatrices – c’est la situation bien connue en justice des pères alcooliques et incestueux qui font porter sur leur victime la responsabilité de l'acte ; souvent l'aînée ose briser le silence pour protéger les) plus jeunes. -. La plus jeune souvent spectatrice, peut servir le breuvage pour enivrer le père. Dans le tableau d'Altdorfer elle est présentée enceinte en arrière plan.
Le père a des attitudes très diverses : affligé (Jan Massys) –1565 – ,
…dépendant de la boisson (Guercino et Francesco Furini)
…entreprenant (SimonVouet) –1633 -,
…sous la figure de l’ivrogne incestueux (Jean-Baptiste Greuze) –1760/1769 –
… ou carrément concupiscent, ( Bartolomeo Manfredi ou Altdorfer – 1537 – l'acte incestueux est symbolisé par la queue de lézard, animal impur, dans le pli de l'aine de l'aînée qui s'adonne aussi à la boisson.)
Une des rares représentations modernes est celle de Marc Chagall –1956- qui choisit clairement le thème de l'alcoolisme familial.
Genèse 19 v.29-38 « Ainsi, lorsque Dieu détruisit les villes de la Plaine, il s'est souvenu d'Abraham et il a retiré Lot du milieu de la catastrophe, dans le renversement des villes où habitait Lot. Lot monta de Çoar et s'établit dans la montagne avec ses deux filles, car il n'osa pas rester à Çoar. Il s'installa dans une grotte, lui et ses deux filles. L'aînée dit à la cadette : Notre père est âgé et il n'y a pas d'homme dans le pays pour s'unir à nous à la manière de tout le monde. Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui; ainsi, de notre père, nous susciterons une descendance. Elles firent boire, cette nuit-là, du vin à leur père, et l'aînée vint s'étendre près de son père, qui n'eut conscience ni de son coucher ni de son lever. Le lendemain, l'aînée dit à la cadette : La nuit dernière, j'ai couché avec mon père; faisons-lui boire du vin encore cette nuit et va coucher avec lui; ainsi, de notre père nous susciterons une descendance. Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là, et la cadette s'étendit auprès de lui, qui n'eut conscience ni de son coucher ni de son lever. Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père. L'aînée donna naissance à un fils et elle l'appela Moab; c'est l'ancêtre des Moabites d'aujourd'hui. La cadette aussi donna naissance à un fils et elle l'appela Ben-Ammi; c'est l'ancêtre des Bené-Ammon d'aujourd'hui. »
Ainsi les deux filles de Lot donnent naissance à deux garçons à l'origine des deux tribus des Ammonites et des Moabites, ennemies séculaires d'Israël. La tradition veut que les enfants de Loth nés de cette union, notamment les Ammonites, vouent un culte à Moloch et s'adonnent au sacrifice d'enfants.
2.2 – LES SACRIFICES D’ENFANTS DANS LA BIBLE : MOLOCH, JEPHTÉ
a. Moloch
La littérature rabbinique du Moyen Age évoque Moloch, dieu des Ammonites, qui recevait les sacrifices d’enfants dans un lieu appelé Tophet dans le vallée de Ben-Hinnom proche de Jérusalem en référence avec le passage du 2ème livre des Rois : 2 Rois 23:10 « Le roi Josias profana le Tophèt de la vallée de Ben-Hinnom, pour que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l'honneur de Molek. »
Certaines traditions décrivent le Tophet comme une statue de bronze avec les bras tendus pour recevoir ses victimes dont des tambours couvraient les cris. Les noms de Tophet et Himmon sont parfois interprétés comme dérivant respectivement de tambour et vacarme en Hébreu. Une autre source rabbinique précise qu’elle était creuse et divisée en sept compartiments >>> destinés chacun à une offrande différente : farine, tourterelles, brebis, béliers, veaux, bœufs, enfants ; les sept offrandes devaient brûler ensemble.
Des commentateurs ultérieurs s’appuyant sur les sacrifices d’enfants à Carthage évoqués par Diodore de Sicile et Plutarque ont associé Moloch à Baal Hammon et Tanit, dieux de Carthage, colonie fondée par les Phéniciens, ainsi que à Cronos-Saturne, le dieu gréco-romain . Diodore de Sicile 2 dans La Bibliothèque historique, XX, 14 écrit : « Il y avait une statue d'airain représentant Saturne, les mains étendues et inclinées vers la terre, de manière que l'enfant, qui y était placé, roulait et allait tomber dans un gouffre rempli de feu. C'est probablement à cette coutume qu'Euripide fait allusion lorsqu'il parle des cérémonies du sacrifice accompli en Tauride; le poète met dans la bouche d'Oreste, la question suivante : "Quel sera le tombeau qui me recevra lorsque je mourrai ? — Un feu sacré allumé dans un vaste gouffre de la terre." Il paraît aussi que l'ancien mythe des Grecs, d'après lequel Saturne dévora ses propres enfants, trouve son explication dans cette coutume des Carthaginois. »
Plutarque 3, De la superstition, XIII écrit : « Les Phéniciens, lors des grandes calamités que sont les guerres, les épidémies ou les sécheresses, sacrifiaient une victime prise parmi les êtres qu’ils chérissaient le plus et qu’ils désignaient par un vote comme victime offerte à Cronos. »
Cependant il faut constater le silence sur cette tradition d’historiens aussi bien informés qu’Hérodote, Thucydide, Polybe ou Tite-Live. Pourtant ce dernier aurait pu évoquer cette question car il aborde aussi ce thème des sacrifices humains dans son Histoire romaine, rappelant qu’à Rome même, en 216 av. JC, on sacrifia un couple de Gaulois et de Grecs sur le Forum Boarium, : « Cependant, sur l’indication des livres du Destin, on fit plusieurs sacrifices extraordinaires : entre autres, un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vivants au marché aux bœufs, dans un endroit clos de pierres, arrosé déjà auparavant du sang de victimes humaines, cérémonie religieuse bien peu romaine.. »
Flaubert dans Salammbô et à notre époque Jacques Martin, dessinateur de Alix, notamment dans « le Tombeau étrusque » 4 ont beaucoup participé à cette association inexacte de Moloch avec Carthage.
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Salammbô 5 est un roman historique de Gustave Flaubert, paru en 1862 chez Michel Lévy.
Il prend pour sujet la Guerre des Mercenaires, au 3ème siècle av. J.-C., qui opposa la ville de Carthage aux mercenaires barbares récrutés lors de la première Guerre punique et révoltés de ne pas avoirreçu la solde convenue. Flaubert tout en respectant l’Histoire connue prit prétexte du peu d’informations disponibles pour peindre un Orient à sa façon, à la fois exotique, sensuel et violent.
Aux chapitres 10 à 13 : Les mercenaires fêtent à Carthage la fin de la guerre dans les jardins d’Hamilcar, leur général. Échauffés par son absence ils pillent sa propriété ; Salammbô, sa fille, descend du palais pour les calmer. Mathô un des chefs des mercenaires en tombe amoureux. Spendius, un esclave libéré, lui conseille de prendre Carthage afin d’obtenir Salammbô. Les Mercenaires coupent l’approvisionnent en eau de la ville en perçant l’aqueduc. Les Carthaginois mourant de soif offrent leurs enfants en sacrifice à Moloch 6. Hamilcar déguise l’enfant d’un esclave et l’envoie mourir à la place de son fils Hannibal. Le soir même, un orage éclate et remplit les citernes d’eau.
Des fouilles faites à Carthage 7 montrent que le mot « molk » désigne en fait l’acte du sacrifice et non une divinité. Mais la tradition juive et chrétienne a conservé le sens de divinité et le nom moloch désigne aussi un démon. Dans la démonologie chrétienne il est le démon qui tire sa joie des pleurs des mères à qui il vole leurs enfants.
Le tophet de Carthage 8 rattaché au site archéologique de la ville >>> classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est aussi appelé tophet de Salammbô. C'est une ancienne aire sacrée dédiée aux divinités phéniciennes Tanit et Baal situé dans le quartier carthaginois de Salammbô, à proximité des ports puniques. Ce tophet, « hybride de sanctuaire et de nécropole » regroupe un grand nombre de tombes d’enfants qui, selon les interprétations, auraient été sacrifiés ou inhumés en ce lieu après leur mort prématurée. Cependant la thèse du sacrifice a peu de fondements archéologiques car le site semble avoir une double fonction : religieuse-votive, de nombreuses stèles portent des dédicaces à Ba'al Hammon ou à Tanit, et d’autre part funéraire (stèles funéraires). Par contre le terme « molk » (= offrande) est très peu présent sur les stèles épigraphiées.
b. La fille de Jephté
Un autre passage biblique évoque les sacrifices humains et dans ce cas particulier celui du sacrifice d’un enfant déjà jeune fille , c’est au Livre des Juges – les Juges avaient été suscités par Dieu pour conduire le peuple d’Israël - 11 v.30-40 : Jephté 9 est juge d’Israël :
« Et Jephté fit un vœu à Yahvé : " Si tu livres entre mes mains les Ammonites, celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai vainqueur du combat contre les Ammonites, celui-là appartiendra à Yahvé, et je l'offrirai en holocauste. " Jephté passa chez les Ammonites pour les attaquer et Yahvé les livra entre ses mains. Il les battit depuis Aroèr jusque vers Minnit (vingt villes) , et jusqu'à Abel-Keramim. Ce fut une très grande défaite; et les Ammonites furent abaissés devant les Israélites.
Lorsque Jephté revint à Miçpé, à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre en dansant au son des tambourins. C'était son unique enfant. En dehors d'elle il n'avait ni fils, ni fille. Dès qu'il l'eut aperçue, il déchira ses vêtements et s'écria : " Ah! ma fille, vraiment tu m'accables! Tu es de ceux qui font mon malheur! Je me suis engagé, moi, devant Yahvé, et ne puis revenir en arrière. " Elle lui répondit : " Mon père, tu t'es engagé envers Yahvé, traite-moi selon l'engagement que tu as pris, puisque Yahvé t'a accordé de te venger de tes ennemis, les Ammonites. " Puis elle dit à son père : " Que ceci me soit accordé! Laisse-moi libre pendant deux mois. Je m'en irai errer sur les montagnes et, avec mes compagnes, je pleurerai sur ma virginité. " - " Va ", lui dit-il, et il la laissa partir pour deux mois. Elle s'en alla donc, elle et ses compagnes, et elle pleura sa virginité sur les montagnes. Les deux mois écoulés, elle revint vers son père et il accomplit sur elle le vœu qu'il avait prononcé. Elle n'avait pas connu d'homme. Et de là vient cette coutume en Israël : d'année en année les filles d'Israël s'en vont se lamenter quatre jours par an sur la fille de Jephté le Galaadite. »
Deux interprétations de son geste sont données :
Selon la première, Jephté, tenu par sa promesse, doit respecter sa parole et offre sa fille en sacrifice à Dieu 10, en holocauste à Dieu c'est à dire un sacrifice par le feu.
La seconde affirme que, malgré les apparences, il ne pouvait sacrifier sa fille par le feu car Dieu a en aversion les sacrifices humains que la loi mosaïque interdisait, au Deutéronome chapitre 18 verset 10 : "il ne se trouvera chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu". Jephté voulait dire qu’il affecterait au service exclusif de Dieu celui ou celle qui viendrait à sa rencontre. Cette analyse tardive 11 est apparue chez des exégètes juifs du Moyen Age, face à un récit moralement choquant.
C’est la 1ère interprétation qui a inspiré les artistes. Cependant ils traitent le sujet de façon différente privilégiant
§ tantôt la réaction du père quand sa fille vient au devant de lui comme dans ce tableau daté entre1700 et 1725 de Giovanni Antonio Pelligrini (1675-1745 );
§ tantôt l’attitude de la fille de Jephté qui se prépare à la mort: par exemple le tableau de Edouard Debat-Ponsan (1847-1913) daté de 1890 ; et ce dessinpostéreur à 1850 – aquarelle sur papier blanc 28,5X24 cm – dessinée par Gustave Moreau (1826 -1898) qui figure dans les collections du Musee G.Moreau. La fille de Jephté apparaît sur ce dessin de G.Moreau comme une sorte d' icône de la jeune fille offrant sa vie pour sa nation. Ce dessin a sans doute inspiré Jean Gabriel Domergue quand il dessine près d'un siècle plus tard, en 1944, son tableau de « Marianne libérée », on y retrouve le même élan de liberté) ;
§ tantôt le moment fatidique du sacrifice: C'est par exemple ce tableau de 1661 peint par Antoine Coypel qui donne au sacrifice une connotation sociale, la scène a lieu au milieu de la foule des soldats vainqueurs et des habitants qui attendent l’accomplissement du vœu de Jephté ; par contre Charles Le Brun (1619 – 1690) dans un tableau de 1656 - collections du Musée des Offices à Florence -, donne au sacrifice une dimension de drame familial, la foule est seulement suggérée par deux pleureuses et les lances brandies par l’armée victorieuse de Jephté.
Le caractère dramatique de l’épisode a aussi beaucoup marqué les musiciens : On peut citer un Oratorio de Haendel en 3 actes présenté à Londres le 26 février 1752 inspiré de l’Oratorio de Giuseppe Carissimi (1605-1674)
Conclusion :
Depuis la nuit des temps l’enfant est au cœur de la vie des sociétés humaines, il est porteur de leur avenir et de la perpétuation des traditions et des héritages. Comme la jeunesse il a donc une place symbolique qui peut conduire, au nom du salut de la société qu’il personnifie, à son sacrifice, contraint ou volontaire - c'est le cas de Jephté ou.de Iphigénie ( La dimension géopolitique de "l'enfant-martyr" : (2) IPHIGENIE ) . L’enfant-martyr – qui peut être un adolescent, un jeune homme ou une jeune femme - est donc au cœur de l’expérience politique de nombreuses sociétés dans lesquelles un système social est menacé – le sacrifice de l’enfant est censé éradiquer le déclin – ou naissant - le sacrifice souvent volontaire d’un enfant pour une idée nouvelle, embelli par la tradition, la légende ou la propagande, vient fonder, enraciner le nouveau système -.
L’enfant-martyr revêt donc une valeur politique et même géopolitique car l’épisode – qui prend souvent l’allure dune « affaire d’Etat » - s’inscrit dans une société, un pays et un temps donnés.
1 Sur la représentation par les peintres de l’union incestueuse de Loth et des ses filles : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loth
http://med2.univ-angers.fr/discipline/pedopsy/ASE/parentalite/parentalitepeinture04.htm
Recension du diocèse d’Alsace : http://cedidoca.diocese-alsace.fr/sodome-et-gomorrhe/
2 Diodore de Sicile à propos de l’attaque de Carthage par Agathocle, tyran de Syracuse écrit :
« Ils [les Carthaginois] estimèrent que Kronos aussi leur était hostile, en raison de ce qu’eux, qui auparavant sacrifiaient à ce dieu les meilleurs de leurs fils, s’étaient mis à acheter secrètement des enfants qu’ils nourrissaient puis envoyaient au sacrifice. Après enquête, on découvrit que certains des [enfants] sacrifiés avaient été substitués. Considérant ces choses et voyant l’ennemi [l’armée d’Agathocle] campé devant les murs, ils éprouvaient une crainte religieuse à l’idée d’avoir ruiné les honneurs traditionnels dus aux dieux. Brûlant du désir de réparer leurs errements, ils choisirent deux cents enfants des plus considérés et les sacrifièrent au nom de l’État. D’autres, contre qui on murmurait, se livrèrent volontairement ; ils n’étaient pas moins de trois cents. Il y avait chez eux [à Carthage] une statue de Kronos en bronze, les mains étendues, la paume en haut, et penchées vers le sol, en sorte que l’enfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu. »
3 Et aussi : Porphyre de Tyr, De l’abstinence, II, 56, 1 : « Les Phéniciens, lors des grandes calamités que sont les guerres, les épidémies ou les sécheresses, sacrifiaient une victime prise parmi les êtres qu’ils chérissaient le plus et qu’ils désignaient par un vote comme victime offerte à Cronos. » & Tertullien, Apologétique, IX, 2-3 : « Des enfants étaient immolés publiquement à Saturne, en Afrique, jusqu’au proconsulat de Tibère, qui fit exposer les prêtres mêmes de ce dieu, attachés vivants aux arbres mêmes de son temple, qui couvraient ces crimes de leur ombre, comme à autant de croix votives : je prends à témoin mon père qui, comme soldat, exécuta cet ordre du proconsul. Mais, aujourd’hui encore, ce criminel sacrifice continue en secret. »
4 Le Tombeau étrusque est le huitième album de la série Alix, écrite et dessinée par Jacques Martin. Il a été publié en 1968 aux Éditions Casterman.
Synopsis : « Dormant dans la remise d'une ferme incendiée, Alix, Enak et le jeune Octave, neveu de Jules César, sont soudain réveillés par les vociférations de cavaliers masqués qui attaquent une grosse exploitation. Une fois les habitants chassés de leurs bâtiments, les agresseurs préparent un bûcher pour y sacrifier un enfant à Moloch-Baal. Alix et ses compagnons interviennent à temps.»
5 http://fr.wikipedia.org/wiki/Salammb%C3%B4
http://www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/flaubert_salammbo.pdf
6 « La vague idée d'une immolation bientôt circula dans le peuple. Pour apaiser les Baalim, il fallait sans doute leur offrir quelque chose d'une incalculable valeur, un être beau, jeune, vierge, d'antique maison, issu des Dieux, un astre humain. Tous les jours des hommes que l'on ne connaissait pas envahissaient les jardins de Mégara ; les esclaves, tremblant pour eux−mêmes, n'osaient leur résister.
Les chaleurs du mois d'Eloul, excessives cette année−là, étaient une autre calamité. Des bords du Lac, il s'élevait des odeurs nauséabondes ; elles passaient dans l'air avec les fumées des aromates tourbillonnant au coin des rues. On entendait continuellement retentir des hymnes… Un délire funèbre agitait Carthage… Les hurlements aigus des femmes emplissaient les maisons, et, s'échappant par les grillages, faisaient se retourner sur les places ceux qui causaient debout : " Hommage à toi, Soleil ! roi des deux zones, créateur qui s'engendre, Père et Mère, Père et Fils, Dieu et Déesse, Déesse et Dieu ! " Et leur voix se perdit dans l'explosion des instruments sonnant tous à la fois, pour étouffer les cris des victimes. Les scheminith à huit cordes, les kinnor, qui en avaient dix, et les nebal, qui en avaient douze, grinçaient, sifflaient, tonnaient. …Les hiérodoules, avec un long crochet, ouvrirent les sept compartiments étagés sur le corps du Baal. Dans le plus haut, on introduisit de la farine ; dans le second, deux tourterelles ; dans le troisième, un singe ; dans le quatrième, un bélier ; dans le cinquième, une brebis ; et, comme on n'avait pas de bœufs pour le sixième, on y jeta une peau tannée prise au sanctuaire. La septième case restait béante. Avant de rien entreprendre, il était bon d'essayer les bras du Dieu. De minces chaînettes partant de ses doigts gagnaient ses épaules et redescendaient par−derrière, où des hommes, tirant dessus, faisaient monter, jusqu'à la hauteur de ses coudes, ses deux mains ouvertes qui, en se rapprochant, arrivaient contre son ventre ; elles remuèrent plusieurs fois de suite, à petits coups saccadés. Puis les instruments se turent. Le feu ronflait. Les pontifes de Moloch se promenaient sur la grande dalle, en examinant la multitude. Il fallait un sacrifice individuel, une oblation toute volontaire et qui était considérée comme entraînant les autres. Mais personne, jusqu'à présent, ne se montrait, et les sept allées conduisant des barrières au colosse étaient complètement vides. Alors, pour encourager le peuple, les prêtres tirèrent de leurs ceintures des poinçons et ils se balafraient le visage. On fit entrer dans l'enceinte les Dévoués, étendus sur terre, en dehors. On leur jeta un paquet d'horribles ferrailles et chacun choisit sa torture. Ils se passaient des broches entre les seins ; ils se fendaient les joues ; ils se mirent des couronnes d'épines sur la tête ; puis ils s'enlacèrent par les bras, et, entourant les enfants, ils formaient un autre grand cercle qui se contractait et s'élargissait. Ils arrivaient contre la balustrade, se rejetaient en arrière et recommençaient toujours, attirant à eux la foule par le vertige de ce mouvement tout plein de sang et de cris. Peu à peu, des gens entrèrent jusqu'au fond des allées ; ils lançaient dans la flamme des perles, des vases d'or, des coupes, des flambeaux, toutes leurs richesses ; les offrandes, de plus en plus, devenaient splendides et multipliées. Enfin, un homme qui chancelait, un homme pâle et hideux de terreur, poussa un enfant ; puis on aperçut entre les mains du colosse une petite masse noire ; elle s'enfonça dans l'ouverture ténébreuse. Les prêtres se penchèrent au bord de la grande dalle, −− et un chant nouveau éclata, célébrant les joies de la mort et les renaissances de l'éternité. Hamilcar, en manteau rouge comme les prêtres de Moloch, se tenait auprès du Baal, debout devant l'orteil de son pied droit. Quand on amena le quatorzième enfant, tout le monde put s'apercevoir qu'il eut un grand geste d'horreur. Mais bientôt, reprenant son attitude, il croisa ses bras et il regardait par terre. De l'autre côté de la statue, le Grand−Pontife restait immobile comme lui. Baissant sa tête chargée d'une mitre assyrienne, il observait sur sa poitrine la plaque d'or recouverte de pierres fatidiques, et où la flamme se mirant faisait des lueurs irisées. Il pâlissait, éperdu. Hamilcar inclinait son front ; et ils étaient tous les deux si près du bûcher que le bas de leurs manteaux, se soulevant, de temps à autre l'effleurait.
Les bras d'airain allaient plus vite. Ils ne s'arrêtaient plus. Chaque fois que l'on y posait un enfant, les prêtres de Moloch étendaient la main sur lui, pour le charger des crimes du peuple, en vociférant : " Ce ne sont pas des hommes, mais des boeufs ! " et la multitude à l'entour répétait : " Des boeufs ! des boeufs ! " Les dévots criaient : " Seigneur ! mange ! " et les prêtres de Proserpine, se conformant par la terreur au besoin de Carthage, marmottaient la formule éleusiaque : " Verse la pluie ! enfante ! "
Les victimes, à peine au bord de l'ouverture, disparaissaient comme une goutte d'eau sur une plaque rougie, et une fumée blanche montait dans la grande couleur écarlate. Cependant, l'appétit du Dieu ne s'apaisait pas. Il en voulait toujours. Afin de lui en fournir davantage, on les empila sur ses mains avec une grosse chaîne par−dessus, qui les retenait. Des dévots au commencement avaient voulu les compter, pour voir si leur nombre correspondait aux jours de l'année solaire ; mais on en mit d'autres, et il était impossible de les distinguer dans le mouvement vertigineux des horribles bras. Cela dura longtemps, indéfiniment jusqu'au soir. Puis les parois intérieures prirent un éclat plus sombre. Alors, on aperçut des chairs qui brûlaient. Quelques−uns même croyaient reconnaître des cheveux, des membres, des corps entiers. Le jour tomba ; des nuages s'amoncelèrent au−dessus du Baal. Le bûcher, sans flammes à présent, faisait une pyramide de charbons jusqu'à ses genoux ; complètement rouge comme un géant tout couvert de sang, il semblait, avec sa tête qui se renversait, chanceler sous le poids de son ivresse. A mesure que les prêtres se hâtaient, la frénésie du peuple augmentait ; le nombre des victimes diminuant, les uns criaient de les épargner, les autres qu'il en fallait encore. On aurait dit que les murs chargés de monde s'écroulaient sous les hurlements d'épouvante et de volupté mystique. Puis des fidèles arrivèrent dans les allées, traînant leurs enfants qui s'accrochaient à eux ; et ils les battaient pour leur faire lâcher prise et les remettre aux hommes rouges. Les joueurs d'instruments quelquefois s'arrêtaient, épuisés ; alors, on entendait les cris des mères et le grésillement de la graisse qui tombait sur les charbons. Les buveurs de jusquiame, marchant à quatre pattes, tournaient autour du colosse et rugissaient comme des tigres, les Yidonim vaticinaient, les Dévoués chantaient avec leurs lèvres fendues ; on avait rompu les grillages, tous voulaient leur part du sacrifice ; et les pères dont les enfants étaient morts autrefois jetaient dans le feu leurs effigies, leurs jouets, leurs ossements conservés. »
7 On ne dispose d’aucune inscription évoquant le Dieu Moloch mais en 1921 l’archéologue Otto Eissfeldt a fouillé sur le site de Carthage une nécropole utilisée du 8ème S. à 146 av JC avec les inscriptions mlk qui ne pouvaient s’interpréter ni comme roi, ni comme le nom d’un dieu. Il en avait conclu que le mot désignait en fait le sacrifice lui-même. Aujourd'hui le mot est reconnu comme un mot sémitique désignant un sacrifice humain, dont la victime est parfois remplacée par un animal
Jérémie 32.35 « Ils ont construit les hauts lieux de Baal dans la vallée de Ben-Hinnom pour faire passer par le feu leurs fils et leurs filles en l'honneur de Molek ce que je n'avais point ordonné, ce à quoi je n'avais jamais songé : commettre une telle abomination pour faire pécher Juda! »
Lévitique 18:21 « Tu ne livreras pas de tes enfants à faire passer à Molek, et tu ne profaneras pas ainsi le nom de ton Dieu. Je suis Yahvé. » ; 20:1-5 « Yahvé parla à Moïse et dit : Tu diras aux Israélites : Quiconque, Israélite ou étranger résidant en Israël, livre de ses fils à Molek devra mourir. Les gens du pays le lapideront, je me tournerai contre cet homme et le retrancherai du milieu de son peuple, car en ayant livré l'un de ses fils à Molek il aura souillé mon sanctuaire et profané mon saint nom. Si les gens du pays veulent fermer les yeux sur cet homme quand il livre l'un de ses fils à Molek et ne le mettent pas à mort, c'est moi qui m'opposerai à cet homme et à son clan. Je les retrancherai du milieu de leur peuple, lui et tous ceux qui après lui iront se prostituer à la suite de Molek. »
2 Rois 23:10 « Le roi Josias profana le Tophèt de la vallée de Ben-Hinnom, pour que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l'honneur de Molek. »
En fait au lieu de traduire par « faire passer leurs fils et leurs filles par le feu à Moloc », il faudrait traduire : « faire passer leurs fils et leurs filles par le feu de molk, le feu du sacrifice. »
10 Le Nouveau Commentaire Biblique (éd. Emmaüs, 1978, p. 279) retient la réalité du sacrifice et établit un parallèle avec un texte latin de Servius (commentateur latin de Virgile): " Idoménée, roi de Crète, ayant été pris dans une tempête en revenant de la guerre de Troie, fit le vœu d'offrir en sacrifice la première personne qu'il rencontrerait à son retour chez lui, à condition que les dieux le protègent pendant le voyage. Cette personne se trouva être son fils." La mythologie grecque évoque aussi les sacrifices humains d'Iphigénie (dont le fond historique serait à peu près contemporain, cf. T. Römer, Dieu obscur, Labor et Fides, 1996, pp. 65-69) et de Polyxène.
11 On trouve une défense de cette thèse dans G. L. Archer, Encyclopedia of Bible Difficulties, Zondervan, 1982, pp. 164-165